17'- Sarah - (suite)

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A 19h00 la weed ne faisait plus effet.

Elle entra dans la salle de bain et fit un rapide état des lieux du chantier à venir. Elle tapota ses joues, espérant leur redonner un peu de couleur, procéda machinalement à sa routine beauté, mais la seule chose qu'elle voyait, c'était ses cernes de mère célibataire épuisée.

Le son d'un nouveau message l'extirpa de ce moment inconfortable.

Et si il annulait ? Lassé de mon attitude puérile.

Mais ce n'était pas Giulian, c'était Arnaud. Elle se surprit à expirer de nouveau, soulagée et curieuse.

Il lui avait envoyé un texto contenant une pièce jointe, un fichier Word qu'elle s'empressa d'ouvrir. Elle reconnu alors le passage en question, il s'agissait de l'extrait d'une des nouvelles qu'il avait composé peu de temps après leur rencontre. Elle retraçait un moment de la vie de Sarah, un de ceux post-apocalyptique où Arnaud l'avait ramassé à la petite cuillère, à l'époque où ils discutaient chaque soir, dans la rame de métro qui les reconduisaient chez eux après leur journée de travail respective ...

Début de l'extrait de " Et des cieux deux anges s'échappèrent ", page 17

- Il y a encore peu de temps, j'aurais pu faire n'importe quoi pour lui, je l'aimais tellement. Mon identité a fini par se mêler la sienne, je l'ai laissé tenir les rênes ; je ne vivais plus qu'à travers lui. Mais on m'a ouvert les yeux, on m'a dit que j'avais tout ce qu'il fallait pour réussir par moi-même, et j'en ai fini avec tout ça, avec lui. Aujourd'hui, j'essaie toujours d'avancer, souvent son ombre me poursuit, j'imagine ce qu'il m'aurait dit, aurais fait, ce que nous aurions pu faire ensemble.La nuit aussi, je le revois, c'est un peu comme un fantôme de mon passé, pas si passé que ça. Et cette sensation-là, d'amour inconditionnel, je n'ai pas envie de la revire. Elle m'a apporté autant de bonheur que de souffrance, mais le bonheur est parti et elles sont encore en moi, les souffrances. Je crois que je les traineraient pour toujours... Je ne veux pas gâcher ma vie, passer le reste de mes jours en colère, à lui en vouloir ou à repenser à lui,  confia-t-elle à ce presque inconnu comme elle aurait pu le faire avec son psy ou sa meilleure amie.

Ils s'étaient rejoint comme chaque soir du lundi au vendredi, dans la même rame de métro. Les jours passant, une intimité nouvelle naissait entre eux. La confession était aisée et les convergences d'intérêts très forts. Elle était un peu une version féminine et plus jeune de lui-même.

- Tient approche, lui dit-il.

Il fouilla dans sa mallette en cuir élimé et lui tendit une petite toile vierge, d'environ la longueur d'une main et un crayon de papier.

-Vous vous prenez pour Mary Popins ?

- Dessine la première chose qui te passe par la tête.

Elle le regarda perplexe.

- On a une place assise, ne te plains pas. Ferme les yeux et laisse l'énergie jaillir derrière le crayon jusqu'à la toile.

-D'accord, mais donnez-moi au moins quelques minutes de réflexion.

Il acquiesça et sorti cette fois le roman qu'il lisait en ce moment. Derrière son pavé, il s'empêchait de jeter des coups d'œil à la jeune fille qui s'était pleinement mise à la tâche.

-Je crois que c'est bon j'ai fini, murmura-t-elle six minutes plus tard. C'est nous dans le métro. Vous détestez...

Elle avait dessiné une espèce de foret de hauts sapins noirs massifs et puissants entourant deux minuscules êtres ayant la forme de bonhommes bâton de maternelle serrés l'un contre l'autre.

- Ah ok, c'est très unique comme interprétation... c'est original.

- Votre visage dit le contraire.

- Mon visage ?

- Oui, votre visage dit que c'est l'œuvre d'une gamine complétement folle.

- C'est vrai que ta toile est remplie d'émotions. Mais c'est positif.

- Positif ? C'est bien la première fois que quelqu'un dit de mes dessins qu'ils sont positifs, il faudrait que ma meilleure amie entende ça ! Vous n'oublierez pas de lui répéter hein ? Si vous la rencontrerez un jour.

-Je n'y manquerais pas. Tu vois, là, c'est comme si tu avais ouvert la grille à tous tes démons du passé, pour les laisser s'échapper.

-C'est un peu le chaos de ma vie, effectivement. Ça me détend, quand je me sens partir en couille, je dessine.

- En couille ? Je vois exactement de quoi tu parles, lui lança -t-il moqueur. Regarde les miennes... mes toiles, pas mes... pardon.

Il sortit en même temps son appareil photo numérique. Sarah leva les sourcils au plafond l'air de dire qu'il trimballait vraiment sa vie entière dans cette vielle besace d'intello.

-Wahoua, elles sont toutes plus magnifiques les unes que les autres.

-Attends, serait-ce un compliment qui est sorti de ta bouche de princesse ?

-Princesse ? Je suis loin d'être une princesse. Vous savez, j'ai parlé de vous à ma psy.

-Ah bon ?

-Oui, je lui parle de tous mes problèmes depuis quelques années.

-Ok, je me disais aussi, trop de compliments pour un seul trajet hein ? Et qu'est-ce qu'elle t'a dit alors, ta psy ?

- Que je devais lâcher prise, que j'avais trop de contrôle en moi, un truc comme ça.

Elle se leva. C'est ici qu'elle descendait quasiment chaque soir, quand elle rentrait directement chez elle.

-Et j'interviens où dans l'histoire ? lui lança-t-il avec autant d'espoir de réponse qu'une bouteille à la mer.

- Ha, ça, on verra...

Et le "on" s'imprima en lui, avant de venir faire écho, pareille à une balle rebondissante, sur chacune de ses cellules.

Fin de l'extrait.

Et Sarah compris le message. Arnaud, tout comme la liste au 16 fléaux, lui rappelait gentiment de ne pas se risquer aux mêmes erreurs du passé. Clairement, il ne validait pas l'idée des retrouvailles entre elle et Giulian. Le fait qu'il ai décidé de clore l'extrait à ce moment précis indiquait aussi qu'une pointe de jalousie subsistait encore en lui, et ce, malgré toutes ces années écoulées et sa situation maritale qui n'avait pas évoluée de son coté...

A 19h30 la baby-sitter arriva.

L'estomac noué et la peur au ventre, elle prit le départ pour Oberkampf. L'avenir de sa vie sentimentale à elle allait se jouer ce soir. Extérieurement, elle affichait pourtant un calme et une sérénité déconcertante. Sarah avait toujours eu ce don de camoufler au plus profond d'elle-même chacun des sentiments les plus intenses qu'il était donné de vivre à l'être humain. Elle s'imposa la confiance et s'autopersuada de se détendre avant de monter dans le métro.

Les paroles bienveillantes d'Arnaud auraient été les bienvenues durant ce trajet mais il n'habitait plus la région et il n'y avait donc plus aucune chance qu'ils se croisent par hasard ici.

Il lui fallut environ une demi-heure pour se rendre à la station désirée et presque autant de minutes de marche afin d'atteindre le point de rendez-vous car elle se perdit au moins deux fois.

Puis, à quelques mètres devant elle, adossé à un réverbère, elle reconnu la silhouette de Giulian, plus beau que jamais.

Et merde...

Flammes Jumelles, putain de Karma ! (En Cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant