13' - Sarah- (suite)

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Sarah se rendit discrètement dans la buanderie et extirpa d'un tiroir l'une des cinquantaine de boite à chaussures qui y patientaient dans l'espoir d'être portées un jour.  Celle qu'elle avait choisi était rouge cramoisi, elle semblait surannée et élimée par le temps. Et pour causes... 

Elle souleva délicatement le couvercle, le posa au sol et s'asseyait à coté. Elle plongea sa main parmi les papiers à lettres Didle, les cartes postales, figurines de chevaux et autres breloques amassées dans ses années où elle n'était encore qu'une adolescente. Seulement, au milieu de ses reliques, une enveloppe noire obtenue sa grâce. 

Les raisons pour lesquelles j'ai envoyé Giulian se faire foutre pour de bon... lu t-elle mentalement.  

1- Il m'a menti

2- Il m'a trompé

3- Il n'a pas vu quand j'allais mal

4- Sa vie est trop compliquée

5-Et il a foutu la merde dans la mienne

6-Et encore une fois

7-Il m'éloigne de mes projets

8- Nous ne sommes pas du même monde

9- Il est parti vivre loin de moi

10- Il revient vers moi dès qu'il va mal 

11- Et refout sa merde dans ma vie 

12- Il est jaloux

13-Il est devenu célèbre

14- Des milliers de filles lui tournent autour pareilles à des vautours

15- Il m'a trompée de nouveau

16- Il est parti, encore une fois

Et celles qui feront que la liste du dessus devra être conservée et relue à chaque fois que la situation le nécessitera :

1- Par ce que tout de lui me rend folle 

2- Par ce que je l'aime aussi fort qu'il est possible d'aimer 

3- Et qu'il n'y a toujours eu que lui... Per siempre...

Alors Sarah inspira un grand coup, puis elle remis la missive dans son enveloppe protectrice qui était aussi sombre que son cœur en cet instant.  

Elle rangea la boite rouge précautionneusement et vint en saisir une autre. Celle ci était estampillée d'un logo d'une célèbre marque de sport et semblait moins abimée par le temps, plus récente. Elle contenait exclusivement des enveloppes, des centaines d'enveloppes de toutes tailles et tous coloris. Elle caressa d'un doigt la dernière des missives reçues. C'était une grosse enveloppe en papier craft, épaisse et généreuse. Toutes ces lettres étaient aussi précieuse et salvatrices les unes que les autres et elles avaient toutes été écrites par la même personne...

Arnaud... 

Arnaud était prolifique. Et celle ci contenait le manuscrit d'un roman encore en cours d'écriture. Une histoire fortement inspirée de la leur. 

Les nouvelles qu'il publiait lui étaient toutes destinées. Elle avait la primeur de les lire en première, chaque mois, livrées dans sa boîte aux lettres. A plusieurs reprises elle avait participé à leur rédaction ou bien avait composé la réponse retour. Certaines avaient été rédigé entièrement de leur quatre mains. Il avait réussi à lui faire aimer l'écriture. Grâce à lui, elle avait pu trouver il y a environ quinze ans, d'autres moyens que le fusain ou les plaies pour mettre les mots sur les flots d'émotions qui l'a traversaient. Arnaud apaisait son feu intérieur. Il l'a nourrissait. La tirait vers le haut, sans cesse, faisant ressortir le meilleur d'elle-même. Le plus beau, le plus sage, le plus plus enfouit comme l'impensable. 

Avec les années, ils avaient établis une relation épistolaire aussi intime que célèbre. Jamais leur prénoms n'étaient mentionnés. Jamais ils ne le seraient, car tout comme elle il y a encore deux mois, Arnaud était marié. Il l'avait toujours été lui, depuis leur première rencontre. 

C'était un grand ami, et un peu son amant spirituel aussi. 

Maintenant adossée au mur de l'étroite pièce, souriant aux anges, Sarah ouvrit la lettre. Elle en huma d'abord le contenu puis en extirpa un bloc d'une cinquantaine de page A4 remplies à la main. Une fois les dernière pages relues, elle se saisit de son téléphone et s'appétant à enregistrer un message vocal, elle chercha les bons mots... tout en se l'imaginant lui, cet alter ego aux cheveux aussi noirs que les siens mais à l'antipode des ténèbres. 

Solaire. Disponible. Aussi intéressé par la vie et les autres, qu'intéressant. Et cette fameuse bouche, à la moue moqueuse qu'elle ne pouvait pas s'empêcher de regarder. C'était une de ces bouches qu'on a envie d'embrasser, pour faire taire ce sourire aussi sexy qu'attirant, redoutablement attirant. Ou bien était ce juste pour l'engloutir entièrement... Pour le posséder et ne l'avoir plus rien qu'à soi. C'était exactement ce qui s'est passé avec Arnaud la première fois qu'elle avait croisé sa route l'année de ses vingt ans. Lui, sa bouche mais aussi son air non-chaland. Il avait stoppé sa course folle dans les couloirs du métro. Savamment adossé à un mur, dans une veste de costar noire parfaitement ajustée, tranchant avec le bleu de son jean. Il avait le nez plongé dans un livre, un très gros livre. L'envie de le posséder était venue quasi immédiatement. La trentaine bien entamée pour lui à l'époque, il lisait Gatsby le magnifique. Et pour le coup, il l'était, magnifique.

"Est-ce ça vaut le coup ?"

"Pardon ?"

"Gatsby, temps perdu ou pépite littéraire ?"

"Ha, Gatsby, bien sûr, qui d'autre... Pour être honnête, j'avais peur de me retrouver face à vieux chef-d'œuvre ampoulé à l'intrigue tarabiscotée et au dessein abscons. Peur d'être déçu, d'être trop jeune pour apprécier. Et puis il faut bien l'avouer j'avais peur de m'emmerder surtout, car si certains classiques restent géniaux, d'autres deviennent sérieusement indigestes. En fait, il faut aller au-delà de la superficialité, on s'aperçoit vite que chaque personnage est prêt à tout pour parvenir à ses fins. Et ça, j'adore."

"Wahou, merci, je ne m'attendais pas à une critique littéraire aussi complète. Au fait, moi c'est Sarah."

"Arnaud. Critique littéraire officiel de la ligne 13. Enchanté. "

"Vous êtes vraiment critique littéraire ? "

"Non. Mais j'ai peu de mérite, je suis professeur de littérature."

"Mais vous êtes pire que Gatsby. Vous avez osé me mentir Mr le professeur", s'était-elle moquée.

"Motivée pour une nouvelle critique ? Voici ma prochaine lecture", lui proposait-il en lui montrant la couverture d'un nouveau pavé.

"Désolée, je descends là. Et je ne suis pas une féministe entêtée, cher professeur. J'ai juste décidé de vivre ma vie de manière à ce qu'elle ne tourne plus jamais autour d'une seule et même personne."

Sarah descendit de la rame sans un regard en arrière. Mais dès l'instant où elle l'avait vu, à la seconde ou elle avait croisé sa silhouette, elle avait su : il allait bouleverser sa vie. D'une manière ou d'une autre. Alors elle avait prit peur, peur de retomber dans le cercle vicieux et infernale de l'amour. Elle s'était alors fait une promesse ; jamais plus, et elle avait verrouillé son cœur. Arnaud avait dix ans de plus qu'elle, Arnaud était marié, et elle ne voulait plus souffrir. C'est ainsi qu'il avait su trouver une place précieuse et pérenne dans sa vie. 

Sarah démarra alors son Voice, partagée entre l'excitation et la peur... toujours cette même peur...

— Voilà qui va t'inspirer Arnaud, même si je suis certaine que ce nouveau rebondissement ne te plaira pas et que je vois d'ici la moue boudeuse que va prendre ta bouche quand tu entendra ce dont je m'apprête à te confier... Voilà... Giulian vient de me recontacter...

Flammes Jumelles, putain de Karma ! (En Cours)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant