Le cri du vent s'effrange aux contacts de l'aluminium. Les vrombissements des moteurs secouent la cabine. Lorsque je jette un regard au-delà du hublot, j'admire une contrée noire et laineuse s'amasser tout autour de l'appareil. Je ne crains rien, pas ici, pas encore. Me voilà à l'apogée de toute contrée que j'ai pu explorer par le passé, dorénavant partis pour un pays inconnu. Tu m'aperçois peut-être déjà d'en bas, parcourir les étendues grises et silencieuses qui construisent ce ciel. Un peu plus, et je te manquais. Je me suis levé de mon lit plus tard que prévu. Non à cause d'un oubli, non à cause du manque de sommeil, non à cause d'une alarme capricieuse qui aurait omis de sonner. Non, rien de tout cela. La raison. Un doute. Un doute persistant qui s'est relié à moi dans une symbiose contre-nature. Un doute qui n'aura eu de cesse de me tirailler et de me poursuivre jusqu'à mon arrivé à l'aéroport. À cet instant, il m'était encore permis de tout abandonner. Mais je ne l'ai pas fait. Pourquoi ? Toute cette folie aurait pu être derrière moi, un lointain et néfaste souvenir, mais au lieu de cela, je me suis mélangé à la foule bouillante qui n'a cessé de croître à mesure que les quarts d'heure défilaient.
Ma valise clopine derrière moi, j'ai le nez en l'air, j'observe avec une incertitude viciée toutes les destinations défiler sur le panneau d'affichage, traquant la mienne avec le sombre espoir qu'elle ait déjà pris son envol. Mais non, elle est là, blottie entre un vol en direction de l'Allemagne et un autre pour l'Italie. J'ai le temps de prendre un café, puis un second. Rien ne suffit à éradiquer ma fatigue, elle est greffée à moi, tout comme le tourbillon d'idées troubles qui vogue au-dessus de ma tête. Je suis épinglé à ma valise comme un sans-abri à son vieux cabot. Des cernes violets pendent à mes yeux. Un air triste ondule sur ma face. L'amer certitude que l'on m'épie en permanence devient une obsession. Lorsque mon cou se tourne d'une direction à une autre, les regards se dématérialisent, comme s'ils n'avaient jamais existé. Ma main tremble d'elle-même. Il m'arrive de l'étrangler avec sa jumelle, mais ce sont alors mes deux bras qui frémissent, je serre donc mes paumes sous mes aisselles, me confine dans ma camisole corporelle, mais sens dégouliner entre mes doigts une sueur corrosive. Mes yeux fous dévisagent chaque personne qui circule devant moi, attendant que l'un d'eux ne se dénonce comme étant mon détracteur.
Embarqué dans la spirale de ma paranoïa, je sursaute lorsqu'une voix sourde et féminine se déclare à travers un haut-parleur. Mes doigts se soudent autour de mes oreilles, comme si la voix était stridente, et mes dents se crispent les unes contre les autres. Aux autres voyageurs, cette voix est anodine, mais à moi, elle me broie les tympans, usant de mon corps tout entier comme d'une immense caisse de résonnance. C'est une annonce importante. Je me souviens avoir imploré les cieux qu'elle décrète que mon vol soit annulé. Tout le monde rentre chez soi, retourne au lit et basta. Baliverne. J'ai aussitôt le dos aspiré dans le raphia des sièges de l'avion. Je ne me rappelle pas avoir présenté ni mon passeport, ni mon ticket. Le temps, à nouveau, exerce sur moi ses caprices silencieux et ses formes mutent comme un liquide que l'on secoue trop fort dans un bocal. En un instant, les réacteurs s'enclenchent et l'engin file en un éclair à travers le tarmac. Une poussée massive propulse l'appareil dans les airs. Les vibrations de l'air et la pressurisation de la cabine me projette dans un néant bourdonnant. Tandis que j'ai la terrifiante sensation que nous dérivons à la verticale, les accoudoirs de mon siège se mettent à vibrer sous la paume de mes mains, entraînant mon corps entier dans d'irrésistibles tremblements. Mon cœur enfle dans ma gorge et les bruits ambiants se matérialisent en panique soudaine, projetant des ombres hirsutes dans ma rétine. Le souffle me manque, des bouffées douloureuses s'empressent de s'expulser de ma bouche et ma main, elle, est attirée à mon cou, cherchant à le libérer d'une chaîne qui l'étouffe. Dans un bref sursaut, j'ai cru apercevoir la silhouette noire et meurtrie du démon de mes rêves grandir parmi la foule. Mes yeux se réfugient derrière mes paupières, avec l'espoir vain de le chasser à tout jamais tandis qu'un soupir de terreur vient taire ces voix qui éclot dans ma tête comme des bourgeons malades.

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La Porte Dans Les Bois
ParanormalÀ la suite d'une tragédie qui ébranle son existence, Arthur R va mettre la main sur une curieuse vidéo retraçant de sombres événements qui ont eu lieu au cœur d'une sinistre forêt scandinave. Assoiffé de vérité, Arthur se lance dans une quête déses...