Je ne dors plus. Ça fait des jours, des semaines, des mois, peut être des années ou des vies que ne dors plus... La fatigue ne m'atteint-elle donc pas ? Oh que si, pour sûr qu'elle m'atteint. Ma conscience est enlisée dans un perpétuel miasme de noir dont elle ne peut se faire défaire. Regardez-moi, j'ai l'air d'un zombie défroqué qui sors de sa tombe une fois la nuit tombée et pavane dans les rues en exhibant sa face déconfite. Il suffit que la lumière tranchante du jour lacère les nuages pour que cette brume moite et larve apparaisse et ondule dans ma rétine. Quand ce n'est pas elle, c'est l'éclairage factice de ma salle de bain qui me ronge l'orbite tandis que le miroir lui s'amuse à me recracher au visage une gueule vaseuse tirée vers le bas. Bordel, c'est quoi ce truc sous mes yeux ? J'ai toujours la tête dans le cul et pas le mien, celui du diable. C'est comme si chaque matin était un lendemain de cuite, et pourtant rares sont les jours où j'ai bu la vieille. Rare ? Non, peut-être que j'exagère, mais j'ai au moins fait l'effort d'éradiquer de mon quotidien la binouze tôt dans la journée et le café tard le soir, ou l'inverse, je ne sais plus. Pourtant, ces épisodes de nuits éveillées seraient la parfaite occasion pour me lancer dans de nouvelles activités, après tout, une fois debout, au lieu de parader sans but dans ma chambre, qu'est-ce qui m'empêche de pratiquer une nouvelle langue, de regarder des films, de découvrir des documentaires insolites ou bien d'apprendre le break dance ? Eh bien ce qui m'en empêche c'est cet abominable état d'entre deux qui me consume jour après jour, nuit après nuit. Trop fatigué pour entreprendre quoi que ce soit et trop éveillé pour trouver le sommeil. Cet état de décomposition ralentit s'accroche à moi comme un parasite qui me pompe le sang et me transforme en véritable légume. Et quand le quotidien se relance chaque matin, les mêmes mots résonnent en boucle dans ma tête et suffisent à me faire flétrir un peu plus. « Bureau », « réveil », « alarme », « bus », « lessive », « vaisselle », bla bla bla bla...
Et s'il me vient à l'esprit de sacrifier la prochaine nuit pour reporter ma rage de m'endormir sur la suivante, d'autres événements survenus au cours de la journée me renverront dans l'exacte même état au soir, notamment toutes ces petites siestes intermittentes et invasives qui me prennent par surprise. Ces écarts dans la réalité où, l'espace de quelques minutes, le vrai et le rêve se confondent pour maintenir un processus de lente dégradation psychique, ne me procurent aucune quelconque forme de revitalisation après coup, ils relancent simplement une petite pièce de plus dans la machine, et c'est réparti pour un tour... Un éternel cycle de jours et de nuits qui se perpétue, où je navigue sur un clair-obscur tantôt envahi par les ténèbres de la nuit, tantôt ravivé par l'éclat électrique de ma lampe de chevet. Ni l'un ni l'autre n'est assez puissant pour soit m'emporter dans le néant profond soit m'aveugler pour l'éternité. Je jongle entre ces deux paradigmes, un coup m'accoutume au halo artificiel de l'ampoule, un coup guette et tente de saisir la moindre lueur onirique lorsqu'elle se présente dans les ténèbres, sans succès. La lumière s'allume, puis s'éteint, et puis s'allume, s'éteint, s'allume, s'éteint... Et moi, toujours à moitié allumé, et à moitié éteint, suis obsédé par l'idée que quelqu'un rentre dans la pièce et fracasse l'ampoule pour une bonne fois pour toutes briser le cercle vicieux. Mais en attendant mon brave sauveteur, mon insomnie impossible à dompté a pris l'apparence d'une bête difforme aux mille yeux et mille bras et qui ne me libérera pas de son étreinte de sitôt, ou de sitard... Je ne rêve que d'une chose, c'est de m'éteindre, mais je ne rêve pas...
À chaque nouvelle instance dans ce périple qui m'embarque davantage dans les méandres nocturnes éveillés, je m'efforce de ne pas regarder l'heure, espérant ainsi contenir la rage bouillante qui sommeille en moi et qui trouverait ici l'opportunité de m'interdire l'accès aux portes des songes à jamais. Mais à quoi bon, je sais quelle heure il est. J'ai toujours su quelle heure il était, et cela me ronge les entrailles, et donc, inéluctablement, renforce mon insomnie. Afin de pallier cela, j'ai entrepris quelques petits rituels. Je me suis mis à suivre des conseils de grand-mère, des astuces de psychologue, des trucs de gens du quotidien. « Bois ça, ça va t'aider à dormir. », oui et puis je vais me réveiller au beau milieu de la nuit avec une violente envie de pisser. « Fais le vide dans ton esprit et laisse-toi aller au travers d'une bonne respiration concentrée. ». Faire le vide dans mon esprit ? Alors que celui-ci tourne toujours en permanence à plein régime et s'amuse à invoquer des tourments de plus en plus insolubles ? Bon courage pour remettre de l'ordre dans cette caboche au cortex cérébral complétement décousu. « Prends une bonne douche froide avant d'aller te coucher... ». Tout ce que ça m'a apporté, c'est un rhume, et une autre envie de pisser... Une seule et unique chose fonctionne véritablement. La seule chose qui a toujours fonctionné... Je m'étais fait la promesse solennelle de ne plus jamais y toucher, plus jamais. Tant pis, j'en ai besoin, j'en ai besoin car ma tête est sur le point de se disloquer, et si je n'agis pas très vite, on retrouvera mon corps inanimé à la lumière d'une aube sinistre, embaumé dans mes draps suintants de sueur, l'air aux alentour transformé en aura moite. Au moins, le repos éternel me serait finalement accordé, celui dont mon âme a tant besoin. Mais je ne veux pas en arriver à un tel extrême, pas maintenant en tout cas, peut-être dans 10 ou 15 ans au grand max, mais pour l'heure, mes tranquillisants sont mes seuls remèdes. J'ai besoin d'anti-douleur, d'anti-peine, d'anti-vie, d'anti-mort. Une envie dérangeante et morbide de les sentir se propulser à travers mes veines comme dans un accélérateur à particule et que la collision de leurs structures provoque dans mes organes ce grand ZBRAM ! Ou ce grand ZBRUH ! Un aller simple vers les collines assoupies.

VOUS LISEZ
La Porte Dans Les Bois
ParanormalÀ la suite d'une tragédie qui ébranle son existence, Arthur R va mettre la main sur une curieuse vidéo retraçant de sombres événements qui ont eu lieu au cœur d'une sinistre forêt scandinave. Assoiffé de vérité, Arthur se lance dans une quête déses...