J'ai essayé de la joindre à de nombreuses reprises. Pas de réponses. Je faisais mine de n'en avoir rien à foutre et je n'en avais vraiment rien à foutre, du moins jusqu'à ce que ça me perturbe vraiment. D'accoutumé, elle répond du tac au tac, mais là... Rien. Rien du tout. Même pas un SMS. Ce n'est pas dans ses habitudes, mais peut-être bien que mon je-m'en-foutisme a fini par l'irriter. En y repensant, elle n'a jamais répondu du tac au tac, je remarquais simplement ses messages plusieurs heures après qu'elle me les ait envoyés. C'est donc ça l'effet que ça fait lorsqu'on est celui qui attend une réponse... Faut dire aussi que le dernier message que je lui ai envoyé n'était pas non plus des plus habituels, bien loin du sacro-saint « j'ai besoin de ma cam ce soir. ». Cette fois, c'était quelque chose de nié et de stupide, quelque chose comme « Bien dormi ? ». Tu m'étonnes qu'elle mette du temps à répondre. Qui en a réellement quelque chose à foutre de savoir si quelqu'un d'autre a bien dormi ou non ?! Moi, peut-être, il faut croire... Enfin pas vraiment. Elle en pinçait bien plus pour moi à l'époque où je lui parlais de mes bad-trips cauchemardesques et de mes virées nocturnes, l'esprit alimenté par une quantité pharaonique de drogues en tout genre... Ouais, c'était le genre d'histoires qui l'amusait, elle kiffait que je lui fasse un petit bilan de mes soirées après avoir consommé les merdes qu'elle me refourguait. Moi aussi je kiffais ça pour être honnête. C'était l'occasion de se taper une bonne barre en lui narrant toutes ces conneries sur un ton grandiloquent. C'était même presque bien plus marrant de lui raconter ces soirées que de les vivre. En fait... en y repensant, c'était uniquement marrant avec elle, car derrière toutes mes phrases bien construites qui lui faisaient miroiter les folles péripéties nocturnes d'Arthur Reynolds, j'omettais souvent les détails comme la douleur des ecchymoses à la suite des rixes, le venin de l'alcool qui empoisonnait mes veines et épuisait ma cervelle, neurone après neurone, ainsi que les substances toxiques qui déformaient le monde autour de moi au point de me plonger dans une léthargie hérétiques, ou bien encore l'état larvaire dans lequel je me retrouvais chaque lendemain matin, le cœur palpitant, le teint moite, gris, en sueur et les pensées en désordre, ce triste sentiment de désuétude accroché à la peau, cette douloureuse sensation de me dire que la nuit m'avait recraché comme un résidu impur, que ma journée sera dédiée à contempler le déchet ambulant que je suis, que mes rêves brisés se répandent à présent en flaque de vomi au pied de mon lit, que mes espoirs de jeunesse se sont depuis longtemps noyés dans le verre de trop et que mes premiers amours sont autant de souvenirs frelatés que de nouveaux échecs à ajouter sur ma longue liste... Tout ça, je n'en fais jamais mention. Aurais-je dû ? Après tout, elle m'a accepté tel que j'étais cette nuit-là. C'est en vérité moi qui n'accepte pas ce que je suis.
Elle, je l'ai contemplé le visage couvert de larme froide mêlée de mascara, les yeux verts qui palpitent d'une aurore de désespoir, les souffles qui se dégageaient de ses lèvres aussi lancinant qu'un hiver solitaire. Je réalise alors que je suis ce qu'elle est, que notre dérive résonne à l'unisson, mais que je n'ai pas son courage pour l'accepter... Un courage que je prenais auparavant pour de la naïveté, et qui démontrait pourtant à quel point elle était au-dessus de tout ça... Je ne faisais que de lui raconter un conte désenchanté, à propos du prince charmant, balayé par les foudres nocturnes, les verres d'alcool à foisons et les jolis culs de femmes qui rebondissaient à tous les étages. Des jours remplacés par des nuits, le soleil par des néons fluos, les tasses de café du matin trinquant avec les verres d'alcool du soir. Qui aurait cru que cette ode noire me précipiterait un jour vers les limbes ? Moi, je l'ai toujours su, mais tout comme la peur de la mort, j'ai vécu en tentant de l'ignorer au lieu de l'accepter. Mon message et mes appels étaient mal venus, elle devait être trop occupée à renflouer les stocks ou au contraire à les disperser aux camés du quartier... Tant pis, c'est peut-être le temps de passer à autre chose ou bien de le consacrer à ce qui importe vraiment : le taff, les potes, ma vie à moi, c'est très bien, je ne vois pas pourquoi je commence à me faire des idées sur cette pauvre fille. Malgré cela la journée s'étire et il y a toujours niché dans un recoin dissimulé de ma tête un frisson qui ne me quitte pas. Même en y prêtant le moins d'attention possible, il finit par irradier le reste de mes pensées. Une pâle lumière qui flotte à la surface d'une eau noire, c'est comme ça que je décrirai au mieux cette sensation. Serait-ce... De l'inquiétude ? Pff, moi inquiet ? Et pour cette fille ? N'importe quoi, c'est stupide. Et stupide ça l'a été jusqu'à ce que je réalise que c'était devenu une réelle obsession. Obsédé par quoi ? Par elle ? Comment ? C'est juste une misérable dealeuse qui traîne avec tout un tas de type pas net. Elle n'a pas une thune et quand elle en a, elle le dépense dans des tatouages atroces. Et puis à mesure que je me répète ces psaumes préfabriqués, son regard vert clignote dans mes pensées, son sourire tordu s'étire, apparaît sa voix cassée, sa dent cassée, ses petites mains blanches enveloppent mon visage et sa poitrine pleine se gonfle contre moi avant que ses lèvres n'enrobent les miennes.

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La Porte Dans Les Bois
ParanormalÀ la suite d'une tragédie qui ébranle son existence, Arthur R va mettre la main sur une curieuse vidéo retraçant de sombres événements qui ont eu lieu au cœur d'une sinistre forêt scandinave. Assoiffé de vérité, Arthur se lance dans une quête déses...