XII

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De nouveau, mes pas foulent les contrées englouties dans la brume. Celle-ci mute de visage en permanence, comme l'onde d'un lac perturbée par la force du vent, prenant l'effigie de bouches aux cris silencieux. Le sang noir de cette terre stérile continue d'imbiber mes pieds nus à chaque pas, la matière halitueuse qui se dégage de sa chair aveugle mes sens au-delà de ma vision et les excroissances en forme d'arbre qui s'arrachent avec douleur du sol, comme des fœtus malades, trompent la perception que j'ai du lieu. Je m'engouffre, presque envoûté par une force d'outre-monde, dans les entrailles de cet antre dissonant. Que pourrais-je espérer trouver ici ? Je l'ignore. Pourtant, je ne tente pas de fuir, ni même de me débattre. L'appel de la brume, si muet soit-il, est inéluctable, et plus que jamais, je suis sensible à ses tourments, avançant sans même me soucier où me guide les ombres. J'ai la certitude de trouver quelque chose ici, même si cette certitude est sans aucun doute injectée depuis l'au-delà par une force malveillante dans mon esprit. Mes mains se posent sur l'écorce malade des arbres, comme pour déchiffrer l'affliction qui les a rendus à ce point rachitiques, ainsi que les intentions qui les poussent à m'emprisonner à leurs côtés dans les limbes. Je me meus de brise en brise, de silence en silence, inspectant les édifices célestes se déplacer en même temps que moi, ces ténèbres en perpétuel mouvement dans le ciel, cherchant à l'inonder de noirceur impénétrable. Me parviennent aux oreilles les versets impies que me murmurent les tourbillons de feuilles mortes, qui n'en finissent plus de valser en spirale pour contracter chez moi un fort état hypnotique. Chaque nouveau retour ici résonne comme une sentence sans équivoque. Sans vraiment me l'avouer à moi-même, je suis peut-être en quête de retrouver cette bâche au sol ou bien la porte elle-même qui, je le sais, je le sens, hante encore ces lieux désolés. Mais rien de tout cela ne m'apparaîtra cette fois-ci. C'est d'une bien autre chose dont je m'apprête à faire la rencontre...

Alors que je poursuis mon exploration, relevant à peine le voile obscur et poisseux qui s'épaissit au-dessus des cimes, je perçois, au loin, niché entre les troncs d'arbres recroquevillés sur eux-mêmes tels des lépreux transis, une surface rouge, comme du sang, dégouliner par-dessus les giboulées de brumes. Je ne saurais décrire la fascination étrange qu'elle a immédiatement suscitée en moi, au point que je m'abandonne à sa rencontre, ignorant les présages funestes qu'elle pourrait porter. Je franchis une parcelle de terrain détrempée par la moisissure, contourne de frêles arbres qui tentent de me retenir avec l'extrémité de leurs griffes, et peu à peu, j'en découvre davantage sur cet objet à la couleur si singulière au beau milieu des ténèbres du bois. Ses contours, brouillés par les caprices fluctuants de la brume, se reforment. Des arrondis émergent, des angles se dessinent, et sous la pâle lumière hésitante, des reflets ternes trahissent sa matière de métal brute. Mon sang bourdonne dans ma tête, mon cœur tape contre ma poitrine, tandis que la chose transpire d'une aura énigmatique. Bien que malmenée par les éléments, elle se révèle imposante, massif, solide, comme forgée à même le sol poreux duquel elle tente vainement de s'extirper. Le container rouge, il est bien là, c'est bien lui, venu jusqu'ici, dans mes songes afin de se repaître de mes tourments. Mais il n'est plus aussi rutilant qu'Alan me l'avait décrit. Bien au contraire... Le temps et les saisons se sont chargés de lui arracher sa fougueuse robe écarlate, le réduisant à cette grotesque carcasse de ferraille éclaboussée de rouille et boursouflée de lichen, pourrissant au milieu d'un lac mort de racines et de branches hirsutes. Une force fainéante émane de lui, comme s'il cherchait à s'arracher de la fange qui tente de l'absorber, mais était retenu contre son gré par les griffes ligneuses qui l'enserrent.

Un immuable colosse d'acier mangé par la nature cruelle de la forêt.

Je m'en approche encore, toujours cette affliction accrochée au cœur, et vois naître une nuée chaotique d'entailles et de traits brouillons parsemant le battant des portes. Lorsque j'arrive enfin face à lui, je réalise que ces balafres sont l'œuvre d'esprits à la dérive, tentant de reproduire avec une fidélité navrante les mêmes symboles ésotériques présents sur la porte dans les bois. Mais parmi tous ces symboles, l'un d'eux retient mon attention. En fait, il n'est pas un symbole, mais un message, gravé avec le désespoir au bout des ongles, incrusté avec une précision perverse à même la chair du métal. Un dernier avertissement.

La Porte Dans Les BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant