XXIII

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Je suis revenu en vrille à la maison, la porte s'est presque arrachée sous la fougue de ma déraison. Essoufflé et effondré au milieu du couloir d'entrée, les vêtements alourdis par un mélange de sueur, d'eau croupie et de sang, je tente tant bien que mal de subtiliser de grandes inspirations bouffies à mes poumons. Le sang tape à mes tempes, ma poitrine convulse. Bordel, mais qu'est-ce que j'ai fait ? Qu'est-ce que j'ai fait ?! Des flashes sanguinolents de la grosse face d'Eric éparpillée dans les eaux me heurtent l'arrière des orbites. Ces visions agissent comme des lames de rasoir qui me tailladent l'esprit. Des échos tourbillonnent dans ma tête, se cognent aux parois puis reviennent, se mêlant à de nouveaux encore qui ne cessent de s'amplifier dans une spirale infernale. Le bruit sourd qui en résulte agit comme une véritable bombe sonore qui se propage dans tout mon corps au point de me crisper les muscles, de faire vibrer ma chair et faire s'entrechoquer mes os, me précipitant dans une paralysie impossible à conjurer. Je tombe sur mes genoux, recroquevillé comme un petit animal nerveux sur le point de se faire écraser par un 15 tonnes. La résonnance opaque s'exalte encore, encore, et encore, au point de quitter mon organisme et de se déplacer à présent de mur en mur, prenant la forme d'une ombre liquide qui ruisselle entre les charpentes, un rêve délié du sommeil, émergeant du vide pour sonder mes pensées. Mes dents, serrées les unes contre les autres, menacent de céder, ma mâchoire, elle, est prête à se rompre et une toile veineuse et congestionnée se tisse dans mon cou. La maçonnerie tremble autour de moi, par la seule force des vibrations de mon esprit en déliquescence. Des rideaux de poussières quittent le plafond, de même pour des petits gravas qui s'effritent et se décrochent en lambeaux.

Suis-je arrivé au bord du précipice ? Est-ce la fin ? Une volonté paresseuse m'oblige à résister, mais mes forces m'abandonnent peu à peu. Je commence à manipuler mon souffle avec des inspirations méthodique, ménage mes poumons avec de courts filaments d'air. La rage blanche qui bombarde ma tête s'amenuise, réduite à un léger filet sonore aigue incapable de causer un chaos similaire dans la maison. Un autre bruit subtilise petit à petit le premier, une sorte de chant lointain et éthérée, comme celui des baleines. Elles se sont immiscées parmi les profondeurs de mon esprit, leurs voix de sirènes obèses résonnent en écho tardif ce qui me plonge dans une lente somnolence. Dépossédé de mes sens, ma tête chavire, mon corps bascule. Cette épiphanie hérétique n'est pas là pour me délivrer, elle tente de m'assoupir afin de mieux m'attirer dans les entrailles du cauchemar et que la bête à tête de cerf prenne enfin possession de mon corps une fois partis au pays des songes. Afin de contrecarrer ce dessein maléfique, je profite d'un sursaut de lucidité pour sangler mes tempes autour de mes paumes et de les compresser si fort qu'elles puissent éclater et répandre autour tous les immondes rêves qu'elle abrite. Mais tout ça est vain, le chant des baleines ne cesse sa parade, il bourdonne encore dans les eaux sombres de mon esprit, alors, pour faire taire tous leurs infâmes commérages, je hurle. Hurle de toutes mes dernières forces. Hurle au point de sentir mes joues se déchirer, ma mâchoire se disloquer, mes orbites cracher du feu, mon sang entrer en ébullition ! Hurle au point de couvrir l'hymne des damnés. Hurle au point que les anges de la miséricorde entendent mon appel et viennent m'arracher à ce monde !

Mais au lieu de cela, les mamelles du diable m'emportent, m'écrasent entre leurs deux protubérances graisseuses, chargées de poison et de malices. Une succion sanglante s'amorce alors dans le fond de ma gorge ce qui m'étouffe et me fait tousser. Un mucus au goût de ferraille grossit dans mon œsophage, m'obligeant à le régurgiter ce qui donne naissance à ce germe gluant et sanglant aux allures d'embryon avorté, expulsé à même le carrelage froid. Des larmes jaunes gonflent sur mes joues. Mes mains tentent de grimper à ma bouche pour les récupérer, mais restent au lieu de cela ballantes autour de mes hanches. Mon corps oblique est forcé d'admirer cette excroissance glaireuse croître au sol. Un éclair me frappe alors ! Je comprends ! Comprends que cette minuscule chose de chair mauvaise, entortillée sur elle-même, qui lutte contre la souffrance de la naissance, est en fait un fragment de moi-même, moi-même qui ne sera bientôt plus qu'une idole aussi vierge et lisse que le marbre, enclin à damnation éternelle. Un triste monument oublié de tous, figé ici, au milieu de ce couloir, et ces murs-là, seront témoins, témoins de ma décrépitude, revêtiront le breuvage de mes veines, et on traversa alors ce chemin, ce chemin où je dépéris lentement, où les échos sans cesse de mon annihilation résonneront comme les chants des sirènes, ceux qui apportent aux marins gloires et fortune. Je suis Ulysse, naviguant sur une mer de sel, mais il n'y a plus de mer, il n'y a plus de sel, non, ne persiste que le vent sinistre qui se heurte aux carcasses des vieilles épaves échouées sur le plancher dénudé de l'océan, somnolant en attente que les forces de l'univers ne les soulèvent et ne les hissent dans les airs afin qu'elles voguent à nouveau mais parmi les nuages, parmi le soleil et parmi les étoiles lorsque le jour tombera dans le crépuscule, et nous abandonnerons toutes rétributions impies et chanterons sur les rivages de cottons blancs et laisseront derrière nous les nués sombres écarlates qui...

La Porte Dans Les BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant