À mon réveil, la fatigue était toujours présente.
C'est comme si mes forces avaient été vampirisé au cours de mon sommeil.
Je me sens pris au piège, sans arrêt, dans un étau constant qui abime mon enveloppe.
Je ne reconnais pas l'aurore matinale. Un faisceau gris rescapé de l'extérieur irradie une partie de la pièce. Le monde n'est pas le même ici, tout m'y est inconnu. Le vent, le ciel, le silence. Les verbes de ma chambre eux aussi me perturbent, que ce soit le moindre craquement de plancher, de grincement de porte, de murmure lointain qui imprègne les murs, tout cela résonne comme une mélodie discordante à mes oreilles. Je me redresse avec une douleur abrasive dans le bas du dos. Mes bras se tordent pour l'atteindre, mais elle persistera. Une vulnérabilité nouvelle me contamine. Cette impression d'être loin de tout ce qui m'animait autrefois s'intensifie, c'est comme être échoué sur une plage de sel où la brise me rappelle sans cesse que je n'appartiens pas à ces contrées. Je suis si férocement assaillit par ce sentiment qu'il me retient à mon lit. Mes cauchemars commencent à se matérialiser dans la réalité. Par vigilance, par réflexe, pas instinct, que sais-je, mes yeux ont rampé au sol jusqu'à atteindre l'angle du mur dans lequel l'enfant spectral avait élu domicile. Il n'y était plus.
J'ai longtemps patienté, presque inanimé, sans rien faire à part tourner en rond dans ma tête. Mon souffle émet une vapeur grise. Je réalise que suis frigorifié, et j'ai beau m'entortiller dans mes minces draps, rien ne chasse ce froid polaire qui m'empoisonne de l'intérieur. Une ombre liquide plane au plafond. Je l'admire s'étaler d'un bout à l'autre de la pièce jusqu'à la revêtir dans son entièreté. Voilà une énième démonstration de ma psyché en déclin. Ma valise s'ouvre, et la bonne fortune a choisi de ne pas me priver de mes précieuses gélules en les laissant patauger dans la flaque de gadoue la veille. J'en avale une, puis une seconde, d'une traite, sans eau, de toute manière, je n'ai pas besoin d'eau, j'ai besoin de vodka, de rhum, de liqueur de framboise, d'absinthe, de verveine, de whisky ou d'un inconnu breuvage spécialement concocté par je ne sais quel scientifique fou en mesure d'oblitérer le mal inconnu qui affecte mon flux de pensées. Docteur, professeur, ou que sais-je, démolissez-moi la tête avec un shot de votre meilleur poison sortit tout droit de votre esprit déliquescent.
Je me suis finalement décidé à bondir hors du lit, enfin... du matelas. Dehors, la trame du jour est obscurcie par une légion de nuages endeuillés. En bas, se décrit la vieille maçonnerie des campagnes qui semblent inhabitées. Je n'aperçois pas les cabots qui m'ont poursuivi la veille, ni même aucune âme qui vive par ailleurs. En revanche, dressé sur les tuiles fragiles de la demeure d'en face, se trouve l'un de ces visiteurs, nue, sans visage, sans rien, à part l'aura malveillante qui émane d'eux ainsi que l'odeur humide qui imprègne leur chair malade. Il se trouve à ma hauteur, mais un chemin de terre sépare nos deux bâtiments. Il est un peu plus ventripotent que les autres, une bonhomie sympathique aurait pu illuminer son visage s'il en avait eu un, mais à la place son abdomen souffre des stigmates d'une panse un peu trop remplit, maculée de vergetures pourpres qui déchirent sa peau. Je le fixe avec une lassitude primitive. Il faut croire que j'ai fini par m'habituer à leur présence. Je n'ai plus la force de m'insurger, ni d'être terrifié. L'indolence qui m'anime désormais est proche de celle qu'ils usent sur moi depuis notre première rencontre. Je dirais même que cette fascination morbide pour ces êtres a fait naître en moi une forme d'empathie envers eux, comme si nous n'étions pas si différents tout compte fait. Les voir ainsi, paralysés dans un corps de plâtre qui est le leur, le visage atrophié par des ronces brunes et les émotions perdues derrière un épais feuillage roux, suscite chez moi une peine que je ne redoutais pas.
Pour une raison qui m'échappe, ma main se met à léviter face aux carreaux puis fini par s'y apposer. La pulpe de mes doigts touche celle de leur reflet, et je réalise que l'écho de la vitre me renvoie un visage au teint cireux, superposé au corps dénudé de mon persécuteur malade. Lorsque ma main se retire, la silhouette s'évanouit, sans bruit, sans geste, sans que je n'aie eu le temps de la prendre sur le fait. C'est alors que des centaines de berceuses aux accords maudits se disputent dans mon oreille. Les ai-je invoqués par mégardes ? Je tombe sur les genoux, les mains accrochées autour de mes tempes, les dents serrées. J'ai cru hurler, mais les cris dissonants de la nuée d'oiseaux qui a pris son envol dans ma tête masquent ma voix. Je suppute que la substance des cachets que j'ai avalés a muté au cours de ce long voyage. Mon cœur s'emballe. Je tremble de toutes parts. Les vibrations font se frotter tous les os de mon corps les uns contre les autres. Mes yeux se révulsent, de plus en plus, tandis que l'anthem diabolique qui pulse dans mon crâne ne cesse de croître.

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La Porte Dans Les Bois
ParanormalÀ la suite d'une tragédie qui ébranle son existence, Arthur R va mettre la main sur une curieuse vidéo retraçant de sombres événements qui ont eu lieu au cœur d'une sinistre forêt scandinave. Assoiffé de vérité, Arthur se lance dans une quête déses...