XXXI

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Les coordonnées GPS arrivent sur mon téléphone.

Le point de ralliement.

Une hâte certaine me gagne, mais me crispe aussi le ventre. Le temps s'écoule dès l'ors différemment. Un coup il se tord vers l'avant, un coup vers l'arrière, inflexible, indomptable. Il semble tout à la fois long et lent, court et impénétrable. La forme qu'il adopte est semblable à celle d'un serpent qui se mord la queue. Il s'amuse avec mes nerfs, me ramène un cran en arrière à chaque fois que l'impression que l'heure sonne me surprend. Me vient alors à l'esprit une image, celle d'une version miniaturisée de moi-même courir sur le cadran de l'horloge, poursuivit par son immense aiguille de métal qui menace de me faucher en pleine course et d'étaler mes organes et mon sang partout entre chaque heure de la journée. Heureusement, ma véritable présence est ici chez moi, dans mon salon plongé dans une obscurité navrante, mon corps affaissé dans mon fauteuil, en train de siroter une sous-marque de soda trop sucré, mes doigts griffant l'accoudoir tandis que les aiguilles du temps, revenues à leur taille initiale, raflent chaque seconde les unes après les autres avec la même indifférence. Bordel, il me tarde d'en finir, de partir, de revenir et de tout oublier. Mon pied incontrôlable joue des cymbales au sol. Un tourbillon d'idées plus obsédantes les unes que les autres m'embarque. Il a commencé alors que le ciel était encore d'un gris palpable et s'est poursuivi lorsqu'il s'est fait immoler par le crépuscule. Je me suis déjà préparé plusieurs heures à l'avance pour cette excursion vers l'inconnu et le danger. Mon accoutrement laisse à désirer, mais c'est la tenue à la fois la plus sombre et la plus souple qui existait dans ma garde-robe. Une petite panoplie de cambrioleur improvisée constituée d'un simple haut et d'un bas de jogging tous deux noirs, ainsi qu'un bonnet, noir lui aussi, le tout moucheté de petites particules cendreuses et de poussière alimentée par des années à pourrir au fond de mon placard sans jamais être nettoyé. Ce piteux accoutrement n'a d'autre vocation de me fondre dans l'impénétrable théâtre de ténèbres qui m'attend. Une peur tangible semblable à une tarentule qui étale ses longues pattes s'agite dans mon estomac. Elle gonfle, m'étouffe, m'empêche de respirer avec aise, s'étend dans le but probable de gagner la surface, de s'arracher de ma bouche dégoulinante de bave et de finir à mes pieds. Elle me saluerait alors, agitant ses longues extrémités avant de déguerpir à toute vitesse à travers la noirceur de la pièce, elle et toutes mes angoisses qui se seront accrochées à son poil. Malheureusement, elle ne s'extrait pas de moi, se contente de rester cloîtrer entre mes entrailles et de les tordre, ce qui provoque chez moi un vertige qui me fait tourbillonner la tête. Mon estomac quant à lui, vide, gargouille et n'attend que d'être nourri, mais je suis incapable de satisfaire son besoin, chaque aliment qui tente de pénétrer mon organisme est instantanément rejeté. Pire, des impressions de vomissements me brutalisent. Mes mains, blotties contre mon abdomen, les retiennent avec douleur tandis que des souffles caverneux dépourvus de substance solide s'expulsent de ma bouche.

Bordel, que m'arrive-t-il ? Est-ce le trac ? Le stress ? Non, le mal qui me ronge est d'une tout autre nature. Il me faut encore un instant pour me recueillir avec moi-même. Mon esprit, las, peine à ordonner toutes les idées qui le traversent. Mes doigts se resserrent autour de l'arête de mon nez, tandis que mon autre main reste ballante et tournée vers le haut, comme pour implorer une justice divine de me délivrer. Tout tourne en rond dans ma tête et prend des circonstances désastreuses. Je ressasse, mes cent pas imaginaires ne se heurtent qu'à des dénouements épouvantables. Que puis-je faire pour me sortir de là ? On dirait un mauvais rêve. Est-ce un rêve ? Je me pince. Aïe. Non, ce n'est pas un rêve. Ça n'a jamais été un rêve. Tout ceci n'est qu'une éternelle spirale de navrante réalité... À chaque nouveau tour dans l'œil du cyclone, à chaque nouvelle révolution sur le cadran de l'horloge, le monde va toujours en pies, se dégrade comme le cadavre d'une bête en décomposition le long d'une route. Je suis piégé dans ce qui semble être un battement de cils de l'infini univers, mais qui pour moi représente le plus funeste jour de mon existence.

La Porte Dans Les BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant