IX

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Un silence accablant grince dans la pièce, chargé d'une onde de défi qui se diffuse tout autour. Personne ne dégaine le premier mot, il ne persiste qu'une langoureuse amertume qui nous brûle la langue, nous lacère les lèvres. Il sait pourquoi je suis là, il sait pourquoi j'attends avec tant d'aplomb. Il n'a fait que me fixer avec ce même regard depuis que je suis arrivé. À ce jeu-là, je dois bien l'admettre, il est fort, un vrai cador, il pourrait enterrer le monde sans jamais prononcer la moindre syllabe. Peut-être qu'une part de moi l'admire pour une telle assurance. Il a toujours fait preuve d'une désinvolture fulgurante quand il s'agissait de me briser les roubignoles... Mais là, il a franchi un nouveau cap. Ça ne le gênerait même pas d'aller poser une pêche pendant que mes émois intérieurs le maudissent. Une infirmière a eu le malheur de s'interposer pour embarquer le plateau-repas. Elle n'a été accueillie que par un glaçant mutisme, et s'est sentie irrémédiablement gênée lorsqu'elle lui a posé une simple question sans qu'il ne daigne lui répondre. Sal enfoiré ! Ton orgueil est à ce point tranchant qu'il t'astreint à en oublier les règles de politesse les plus fondamentales ? Si j'avais été elle, je t'aurais tordu le cou pour avoir fait preuve d'une telle aigreur ! Le venin qui s'écoule de ton regard m'écœure... Tiens-toi bien, car à tout moment, je bondis et te fracasse le crâne sur ta table de chevet, vieux manant. Risques-tu seulement d'agir avant moi ? Toi qui lis sans aucun doute dans mes pensées...

— Le repas a vraiment été dégueulasse, s'exclame-t-il enfin avec tant de nonchalance, je me demande bien si leur bouffe immonde ne va pas m'achever avant le cancer...

Je ne réponds même pas... Qu'est-ce qu'il y a à répondre à ça ? Rien du tout... Mais il me lance soudain un regard assassin, les yeux écarquillés, les sourcils froncés et la mine belliqueuse.

— Tu vas faire cette gueule-là encore longtemps ?! gronde-t-il dans ma direction.

— Tu te fou de moi j'espère ?! je finis par répondre.

— De quoi ? Qu'est-ce qu'il t'arrive encore ?

— Ton CD, ton film, tes Suédois... Tout ça, c'est de la merde. Rien de tout ça n'est réel.

— Ah bon ? Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

— Je l'ai fait traduire ta putain de vidéo... C'est rempli de rien, et la seule chose un tant soit peu importante, c'est le nom de ce putain de patelin, « Bräskärt » !

— Et donc ? Pourquoi tu râles alors ? Tu as le nom du village, ça devrait te réjouir non ? Pourquoi t'es venu là me faire une tête comme ça ?

— Tu m'as dit que tu ne te souvenais pas de la traduction... Tu vas me faire croire que tu n'étais pas foutu de te souvenir du nom du seul truc qui comptait vraiment ? Tu m'as fait retraduire toute cette merde uniquement pour ça ? Tu m'as dit que la vérité autour de ce CD était d'une importance capitale pour toi ! Et tu ne te souviens même pas de ce putain de...

Je commence à m'emporter... Je dois reprendre mon calme au plus vite... Ou alors il va en profiter...

— Il faut dire que... C'est un nom de village plutôt compliqué, non ? bronche-t-il.

— Tout ce que tu me racontes, ce sont des bobards ! Rien n'est vrai, la vidéo est truquée, je le sais, tu l'as trafiqué...

— Ah oui ? Tu crois ça ? me rétorque-t-il, son air de défi encore plus aiguisé.

— Ouais ! lui fais-je front.

Il réfute d'un mouvement de tête, ses pupilles deviennent noires comme du charbon, et un sourire sinistre apparaît à ses lèvres.

— Tout est vrai, me lance-t-il, tout... Et au fond de toi, tu le sais...

— Non, je résiste, je sais que ce sont des conneries.

La Porte Dans Les BoisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant