Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légende

Chapitre 39 - Éros

Je tombe à plat ventre sur le sol en marbre du hall du palais de Nostraria. Des pas précipités s'affolent autour de moi. Je me redresse rapidement et me retourne pour constater que le portail s'est déjà refermé. Je détaille avec insistance l'endroit où il se trouvait il y a encore moins de deux secondes. Je contracte violemment la mâchoire. Quel était cet endroit ? Pourquoi y avait-il autant de dragons ? Ce qu'il a déclenché en moi n'est pas normal. Je n'aurais jamais dû lui parler de la sorte. Je me frotte le front.

— Votre Altesse ... ?

Plusieurs gardes me dévisagent. Ils sont quatre au total et ont l'air d'avoir vu un fantôme. Je me rappelle alors brusquement que ça fait de nombreuses semaines que je ne suis pas rentré et pour cause. J'ai d'abord été prisonnier de l'Edryae, puis leur reine a été ma prisonnière... Nous devions rejoindre l'armée nostrarienne avec la reine de l'Edryae pour les forcer à nous céder ce que nous souhaitions, c'est-à-dire leurs terres. Mais le plan de base n'était pas celui-là, j'aurais dû la tuer il y a bien longtemps. Orso me l'a ordonné de nombreuses fois, sans compter cette voix qui réclame incessamment de faire couler le sang d'Hestia. À présent, il m'est vital de retrouver mon père pour lui donner ma version des faits. S'il avait daigné se faire tatouer le sigil de communication, je n'aurais pas besoin d'une entrevue en tête à tête avec lui. Il va se moquer de moi... sans doute. Me traiter d'incompétent... très certainement et me frapper si nous nous retrouvons seul à seul.

— Qui est resté au palais ?

— Votre second, Orso...

— Pourquoi le second du général des armées n'est pas sur le champ de bataille alors que le général n'y est clairement pas ?

Je hurle cette question.

— Euh... Je ne ...

— Le général des armées y est, lâche Orso qui entre dans le hall. Ton père est avec l'armée. Il m'a demandé de garder le palais en cas d'attaque.

— Le roi Horos ? Sur le champ de bataille ? Tu plaisantes, je lance un regard en coin aux gardes présents. Déguerpissez.

Ils s'exécutent sans demander leur reste.

— Je suis tout aussi étonné que toi. Je pensais qu'il resterait ici, mais par souci de vengeance il a pris le commandement de l'armée.

En effet, mon père en sa qualité de roi est le chef des armées, donc il m'a ravi mon statut sans que je ne puisse rien y faire vu qu'il lui revient de droit... Mais il n'a jamais eu d'appétence pour diriger l'armée et n'en a jamais exprimé le désir. Par souci de vengeance... Mais que lui a fait cette pauvre fille pour qu'il lui en veuille à ce point ? Il s'acharne sur elle sans que je ne comprenne pourquoi. Il a emprisonné sa famille et m'a demandé de l'exécuter avant même que nous sachions qu'elle était l'héritière de l'Edryae, puis il a tué son père, m'a à nouveau demandé de l'exécuter et à présent il est sur le champ de bataille pour être le témoin de sa chute. Ce constat me prouve qu'il existait quelque chose entre elle et mon père avant même que je ne la « rencontre ». Mais était-ce réellement une rencontre ? Non, elle m'a prouvé que nous nous connaissions. Les visions que j'ai eues d'elle ne mentent pas. Hestia n'aurait pas pu déclencher la dernière, je lui avais mis les menottes bloquant ses aptitudes.

— Je dois le rejoindre...

— Non, tu ne peux pas. Nos deux seuls dirigeants ne peuvent pas se trouver au cœur d'une guerre.

Un élan de pure colère monte en moi. J'ai envie de hurler. Hurler que si le roi n'avait pas tué ma mère, nous ne serions pas les deux êtres capables de diriger ce pays... Ma mère serait restée au palais. Cette rage qui me consume, je ne l'avais pas ressentie depuis un moment... Un poids s'abat sur ma poitrine et ressemble affreusement à de la peine. Je n'ai pas été triste lorsque ma mère est morte, lorsque le roi l'a tué et pourtant je ressens enfin toute la colère qu'un tel acte aurait dû me faire éprouver. Comment a-t-il pu tuer sa femme ? Comment a-t-il pu tuer la mère de son enfant ? Et pourquoi ma réaction arrive-t-elle maintenant ?