Chapitre 43

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Je me retourne encore et encore dans mon lit de camp alors que le sommeil ne souhaite aucunement me faire le plaisir de m'emporter. Les paroles d'Alex et celles de Léandre tournent en boucle dans mon esprit. Et pour couronner le tout, Éros a essayé de communiquer à nouveau avec moi. Il n'aurait pas dû réussir à reprendre contact, mais je lui ai claqué la porte de mon esprit et je l'ai fermé à double tour. Il ne pourra plus me déranger à l'avenir à moins que je décide de réinstaurer le lien, chose que je ne compte pas faire. Ayden avait raison, ce lien ne devrait même pas exister, il est donc préférable que je le mette en sourdine.

Sans plus y réfléchir, je me lève d'un coup et observe la tente qui m'a été attribuée. J'attrape la carafe et me sers un verre que je finis d'une traite. Je baisse les yeux vers mon pantalon, je suis restée en tenue de combat par précaution, après un réveil surprise je n'aurais aucunement souhaité devoir m'habiller. J'observe mes armes qui ne sont pas accrochées à ma ceinture. Elles sont propres, aiguisées et étalées à équidistance les unes des autres. Je les place une par une à ma ceinture et sur mon harnais.

Je patiente dans la tente en écoutant les bruits du camp, le feu qui crépite, les cliquetis des armures, une épée qu'un soldat aiguise... Léandre a raison, s'ils meurent, ce sera de ma faute. Je rabat violemment les portes de ma tente et sors dans l'effervescence du camp. Même en pleine nuit des centaines de soldats s'affairent. Ils préparent leurs armes, montent la garde, rigolent autour d'un feu en petit groupe. Plus je regarde leurs visages, plus le plan de Léandre me paraît censé. C'est un acte lâche de se faufiler dans la tente du roi pour le tuer à la manière d'un assassin. Mais je peux accepter qu'on me traite de lâche pour épargner la vie de centaines de soldats.

J'hésite à parler de ce plan à quelqu'un, Léandre voudra m'accompagner, mais c'est hors de question, je serais plus efficace seule. Il faut simplement que j'informe au moins une personne de ce que je m'apprête à faire. Peut-être que je devrais en parler a Ayden une fois dans le camp ennemi par notre lien tout fraîchement rétabli, il ne pourra plus rien faire si ce n'est patienter...

J'entre dans la tente dédiée à notre stratégie militaire et suis surprise de ne pas la trouver vide. Cali se tient au-dessus de la carte en fronçant les sourcils. Ma sœur se trouve trois pas derrière la jeune femme et mon frère patiente dans un autre coin.

— Qu'est-ce que vous faites ici à cette heure ?

Cali révèle la tête et elle pince si fort les lèvres qu'elles ne forment qu'une fine ligne.

— Quelque chose ne va pas ?

— De quoi tu parles ?

Je m'approche à mon tour en lançant un regard en coin à Léandre. Il contracte la mâchoire en observant notre petite sœur avec attention. Je tourne alors les yeux vers Lua, elle reste silencieuse. Cali me montre l'emplacement de notre armée puis l'emplacement de l'armée nostrarienne.

— Ta sœur a eu une vision.

Je fronce les sourcils et relève rapidement la tête vers la concernée.

— Une vision, mais de quoi ? Tu n'as même pas encore 20 ans.

— J'ai vu l'armée Nostrarienne passer la frontière et s'abattre sur nous... commence ma sœur. Cette nuit.

— C'est impossible, ils sont à la même distance que nous de la frontière. Nos éclaireurs sont sûrs d'eux et même s'ils marchaient toute la nuit, ils ne nous atteindraient qu'en fin de matinée.

Je me tourne vers mon frère pour qu'il valide mes propos. Il se rapproche de moi et se place à son tour autour de la carte.

— Je l'ai vu quand elle a eu sa vision... Je crois que c'est un oracle et si nous négligeons la vision d'un oracle, c'est que nous sommes des idiots.

Je regarde à nouveau ma sœur qui paraît si fragile en cet instant. Je repense à la veille de mon départ pour le palais de Nostaria, elle m'avait parlé en énigme comme le fait la reine des faes. J'avais jugé cet événement sans importance, je pensais qu'elle était à moitié endormie, mais c'était peut-être plus que ça... Après tout, elle m'avait dit de ne pas me méfier de la neige et je suis sûre à présent qu'elle parlait d'Éros.

— Tu as eu d'autres visions ?

Elle paraît hésitante, alors je me rapproche doucement d'elle. Je ne veux aucunement la brusquer, c'est peut-être déjà assez choquant d'apprendre que ses aptitudes ne se manifestent pas comme Léandre et moi. Je lui souris et lui frotte le bras.

— Je... J'ai rêvé ou j'ai eu une vision... Je t'ai vu avec un dragon. J'avais pris ça pour un rêve parce que c'était impossible, mais tu en as un. Après une pause, elle reprend. Et j'ai rêvé d'Alex... De nombreuses fois avant de le rencontrer.

J'entends Cali s'étouffer dans mon dos et je me retiens de lui frapper le dos avec un peu trop de force pour qu'elle se reprenne.

— Alex ?! Le Alex ?

Lua hoche timidement la tête et je tourne la tête vers Cali et Léandre. Cette dernière a un sourire aux coins des lèvres et je lui offre un regard ébahi, tandis que mon frère fronce les sourcils avec insistance. Il ne se permet aucun commentaire.

Un cor retentit une fois. Je recule d'un pas et observe chaque personne présente dans la tente. Il retentit une deuxième fois puis des dizaines d'autres le rejoignent dans un chant macabre. Cali lance un regard effrayé à ma sœur.

— Tu avais raison, ils arrivent sur nous.

La guerre est plus que jamais à nos portes et je n'ai aucun moyen de l'éviter cette fois. Je sors de la tente en trombe. De notre point de vue en hauteur, je vois des milliers de torches se précipiter vers notre camp. L'appréhension s'empare de mon corps et une bouffée d'angoisse m'étreint le cœur. Je me retourne et tombe nez à nez avec ma sœur. Je l'attrape par les bras et ses yeux terrifiés rencontrent les miens. J'inspire et expire profondément. Les hurlements des hommes et femmes autour de moi se font entendre, des ordres fusent, ils se préparent à la bataille qui nous attend.

— Je veux que tu coures le plus loin possible d'ici. elle ne répond pas, son regard passe de mon visage à l'armée qui se précipite vers nous. TU M'ENTENDS ?

Elle hoche la tête. J'attrape les premiers soldats qui passent à côté de moi. Je le tire et le regarde dans les yeux. Quand il me reconnait, il se tient plus droit et effectue un salut militaire.

— Vous l'emmenez le plus loin possible d'ici et vous la protégez au péril de votre vie. Je veux que vous emmeniez deux autres soldats avec vous. Compris ?

— Compris, votre majesté.

— Tu le suis et fais tout ce qu'il te demande, je hurle à Lua.

Ma sœur se défait de ma prise et commence déjà à suivre le garde. Je sens mon dragon dans mon dos. Ce n'est encore qu'un bébé, il ne peut pas rester là, il risque de m'handicaper plus qu'autre chose.

— Tu vas avec elle.

Il tourne la tête dans un sens et je le pousse en direction de ma sœur et du soldat qui l'accompagne. Il m'offre un petit cri réticent et je le pousse à nouveau. Après une longue hésitation, trop longue à mon goût, il s'exécute et s'envole pour rejoindre ma sœur. Léandre m'attrape par le bras.

— Tu dois enfiler une armure. Maintenant !

Je le regarde. Cali et lui se sont déjà exécutés et je hoche la tête avec conviction avant de courir vers ma tente.


Le Joyau de Nostraria, tome 3 : la naissance d'une légendeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant