32. Erin

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Et si je baissais les armes, que me resterait-il ?

Juillet 2023,

Je passe à peine l'embrasure de la porte que Jesse, les yeux brillants de panique et Adam plus réservé mais tout autant inquiet me sautent dessus.

—    Combien ? s'enquière Jesse.

—    Deux morts, cinq blessés dont un grave.

—    Je n'ai pas de nouvelles de Te-

—    Il va bien, lui souris-je, quelques blessures superficielles et un bel hématome sur les côtes mais il est hors de danger.

Un souffle d'apaisement s'arrache de ses lèvres. Lorsque je claque la porte, Dixon descend l'escalier en trombe et s'arrête à quelques centimètres de moi m'analysant des pieds à la tête. Il m'enlace avec trop de force et je suffoquerai presque tant il serre.

—    Tu m'étouffes, Dixon...je...vais...bien.

—    Je vais les buter, siffle-t-il en s'écartant de moi.

C'était déjà au programme, rien à changer.

—    Comment ont-ils fait pour passer la surveillance de l'Agency, c'est insensé, s'exclame Jesse.

Ils m'ont suivi et ils le font depuis le début de la mission. Si au départ je pensais qu'Isaac était celui qui posait les mots sur ma moto, le doute s'est vite envolé face à celui de la nuit dernière. Si ma présence dans le bâtiment a engendré l'attaque d'aujourd'hui, ça n'explique pas comment ils ont pu détourner les services de surveillances. Je penche pour une taupe sans vraiment de preuves ou d'arguments. Néanmoins, je décide de ne rien dire de mes hypothèses aux hommes qui m'entourent, ils risqueraient de m'enfermer à double tour dans la maison. Je finis par hausser les épaules sans convaincre aucun des gars. Ils savent que je dissimule une information, je me promets de leur donner quand j'aurais moi-même plus de matière à débattre. Exténuée, je coupe court et rejoins ma chambre. J'ai besoin d'une douche et de dormir, même si j'ai conscience que ma tête ne me laissera aucun répit. Surtout après le souvenir qui m'a assailli plus tôt dans la journée.

Je passe la porte de ma salle de bains et soupire, lasse, devant le miroir. J'observe mes cernes creux, mon teint de plus en plus gris malgré le soleil d'été et prie silencieusement que le sommeil finisse par m'aspirer pour un long coma d'une bonne semaine. Je me déshabille pendant que mon portable vibre sans discontinuer. Je l'ignore et entre dans la douche. L'eau froide soulage mes muscles malmenés par la journée et grimace alors que la mélodie vibrante de mon portable ne cesse de me casser les oreilles. J'ai besoin d'une petite pause pas de hurlements inquiets de Ryan et Lucy. Je m'éternise sous le jet d'eau finissant même par être bercée par les vibrations de mon téléphone. Plus d'une vingtaine de minutes s'écoulent avant que je ne décide de sortir de la douche. Après m'être séchée, j'enfile un short, un sweat trop large et dissimule mes cheveux dans une serviette. Je m'écrase sur mon lit en étoile de mer et laisse un souffle de plénitude traverser la barrière de mes lèvres. Je crois ne jamais avoir autant apprécié mon lit. Mon portable devenu silencieux, je décide de m'y intéresser. Dix appels en absence de Lucy, cinq de Ryan. Douze messages de ma meilleure amie, presque autant de Ryan. Je me redresse, un sourcil arqué. Dans la masse de notifications, un message retient mon attention. Renommé Ducon pas Peters sur mon téléphone dès le premier jour et jamais modifié depuis, a laissé un message. J'hésite un instant, le pouce en suspension sur l'écran avant de me rétracter et l'éteins. Mon dos retombe contre le matelas moelleux et mes yeux se plantent dans le plafond. A l'aveugle, ma main tapote la couette pour récupérer le téléphone. Je me ravise à deux reprises avant de soupirer et de me décider à totalement le désactiver.

22 : 48... Erin, tu dois dormir.

23 : 13... Sérieusement petit crâne il va falloir appuyer sur off a un moment.

23 : 34... Pourquoi ça n'avance pas.

00 : 12...Dormir Erin, il faut juste dormir.

01 : 00...fais chier...

Je rallume mon portable, six nouveaux appels, trois de Lucy, deux de Ryan et...un...non, Erin, stop. J'éteins l'écran et me tourne face à la fenêtre, observe le ciel. Plutôt couvert depuis quelques jours, les étoiles se font rares. Mes paupières se ferment avant qu'un grognement n'irrite ma gorge tant le sommeil me fait défaut. La vibration me dérange une nouvelle fois. Je râle plus franchement et le récupère d'un geste brusque. Mon souffle se coupe et une étrange panique s'insinue dans mes muscles. Je m'assois en tailleurs sur mon lit et hésite de nouveau, le pouce en lévitation au-dessus de l'écran. Je capitule face à ma propre curiosité et décroche.

—     Moy prekrasnyy.

Il se râcle la gorge, le malaise trahissant le ton neutre qu'il voulait utiliser. Je ne peux réprimer un sourire malgré ce surnom qui m'extorque une grimace plus légère que d'ordinaire. Bien décidée à le laisser se démerder, je reste muette. Un grognement s'arrache de ses lèvres et mon sourire s'accentue.

—    Je...est-ce que...je voulais juste...

—    Mon Dieu, tu es à la ramasse ma parole, lâche une voix féminine en écho que je suppose être celle de Sara.

Sans plus attendre, la communication se coupe. A priori, elle n'aurait jamais dû intervenir. Je délaisse tout juste mon téléphone qu'il vibre à nouveau m'arrachant un nouveau discret sourire. Je le reconnais, il a le mérite d'être persévérant.

—    Jesse m'a informé de...l'attaque. Tu...tu vas bien ?

Il en a fallu du temps pour qu'il sorte sa foutue question. J'étouffe un rire et il râle.

—    Es-tu déçu ? Tu pensais être débarrassé de moi, c'est raté.

—    Des dégâts ? élude-t-il.

—    Deux morts, cinq blessés. L'Académie est hors service pour plusieurs mois.

—    Et toi ? retente-t-il sa chance.

Déstabilisée par sa sincère inquiétude, je m'enferme dans le mutisme. Depuis qu'il a quitté la planque, Ryan ne m'a pas donné d'informations sur les conversations que le micro a enregistré.

—    Je te l'ai dit, tu ne te débarrasseras pas aussi faci-

—    J'ai entendu la première fois, je-

—    Je vais bien, capitulé-je. Quelques égratignures, rien de grave, je gère.

Son souffle long et lourd s'étouffe contre le micro. Mes sourcils se froncent, je reste dubitative quant à la réaction d'Isaac.

—    Non ! Arrête ! Putain Sa-

—    Salut, Erin. Je suis Sara mais de toute évidence, tu le savais déjà.

Elle rit franchement, et ça me fait sourire, sa voix douce me rappelle celle de ma mère. Malgré mon mutisme, elle poursuit son monologue, Sara parvient presque à m'extorquer un rire que j'étouffe en mordillant mes lèvres.

—    Isaac a horreur des conversations téléphoniques. Donc, je prends le relais, ça ira plus vite.

Mon sourire s'élargit tandis que je perçois le grognement franc d'Isaac en fond de conversation.

—    Comment vas-tu ? Comment vas-tu vraiment ? Il a appris que ses connards de pseudos alliés avaient fait une descente à l'Agency. Il craignait que ton petit cul ait pu morfler. Tu vois le genre ? Non parce que de ce que j'ai compris, ton fessier est plutôt agréable à l'œil.

—    Putain, Sara, sérieux ! s'agace la voix d'Isaac.

—    Ah, on devrait également parler de-

La communication se coupe sèchement. Je m'allonge et glisse mon téléphone sous l'un des coussins. Je ferme les yeux et pour la première fois, je sens mon corps partir petit à petit. L'espoir que la nuit soit enfin reposante me gonfle le cœur. J'ai vraiment besoin d'une nuit de calme. Faites qu'elle le soit.

The Perfect Prototype 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant