20. Isaac

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C'est comme un échiquier géant, seulement à chaque coup, on danse un peu plus avec le danger.

Isaac

Février 2007,

Les rayons du soleil percent à travers la fenêtre de ma chambre dont le chauffage a été coupé depuis plus de deux jours. Ils ne réchauffent rien, et je finis même par me demander si je n'ai pas été mis dans une chambre froide tant mon corps gèle sur place. Je mords dans mon coussin pour que mes dents ne s'entrechoquent pas. La porte s'ouvre, je bondis hors du lit. Je me tiens droit, les yeux vissés au sol, les mains croisées dans le dos. Je contracte mes muscles et tente de garder le contrôle sur mes tremblements. Ses doigts aussi crochus que celle d'une sorcière relève mon menton. Mon regard tombe sur Mikhaïl en aussi mauvaise état que moi. Les hématomes sur ses bras et les brûlures fraîches sur son torse prouvent qu'il a échoué à cette nouvelle épreuve. Elle m'inspecte avec minutie pendant que moi c'est Mikhaïl que je détaille.

Elle griffe mon menton et tourne les talons jusqu'à la petite armoire qui trône dans le coin de la chambre. Verrouillée de deux cadenas, elle est la seule à avoir les clés. Elle l'ouvre et en sors un t-shirt, un sweat molletonné et un jogging épais. Dans un petit bac, elle attrape une paire de chaussettes fourrées et referme le meuble. Elle pose les vêtements au bord de mon lit de fortune et quitte ma chambre, ses griffes autour du bras de Mikhaïl. Je veux l'aider mais j'ai réussi l'examen, si je m'interpose entre Nikita et la punition qui attend Mikhaïl je perdrais mon avantage du jour. Je suis fatigué, j'ai faim et j'ai froid, alors je l'admets, je regarde mon frère partir vers sa punition et savoure ma réussite à la saveur acre.

Les vêtements enfilés je descends sur la pointe des pieds. Le traumatisme de mon dernier échec encore trop frais dans mon esprit. J'avais fait trop de bruit. C'était un peu comme un cache-cache, j'avais eu la mauvaise idée de me dissimuler dans un endroit poussiéreux et j'avais été bruyant. Mikhaïl avait gagné cette épreuve, je l'avais perdue. J'avais hérité de plusieurs coups de ceinture et de mes deux premières brûlures à l'acide. Depuis, je me déplace telle une ombre dans la maison, ne m'autorisant à faire du bruit que lorsque je mastique la nourriture durement gagnée. Avant de rejoindre la cuisine, je m'arrête sur la photo de papa. Ça va faire six mois qu'il est en mission, Nikita en profite. Le manque de la douceur de mon père creuse un profond gouffre au centre de mon cœur. Il est dur avec nous mais moins que notre génitrice. L'affection, la nourriture, le sommeil ou la vêture ne sont pas des récompenses d'épreuves avec lui. Ces tests que nos parents nous obligent à passer n'ont pas résultats. Nous gagnons un peu plus de sa fierté ou de son admiration quand, avec Nikita nous recevons les besoins de premières nécessités. Je détourne le regard de la photo de famille et rejoins la cuisine. Je découvre le festin qui m'attends. Mon ventre gargouille d'envie et la salive s'invite dans ma bouche. La privation des quatre derniers jours ayant, néanmoins, je le sais, commencée à réduire la taille de mon estomac. Je m'installe sur le tabouret haut et découvre le bol dans lequel un morceau de Medovik (gâteau russe) a  été fraîchement préparé. Je m'apprête à porter la première bouchée à mes lèvres quand des coups de fouet vibrent en écho depuis le sous-sol. Un nœud se forme dans l'instantanée au centre de mon estomac et me coupe l'appétit. Aucune voix ne transperce le lourd silence, seuls les coups fusent sans discontinuer. Cinq...six...sept...

J'arrête le décompte à quinze et quitte la cuisine sans rien avaler. Comme j'ai gagné l'épreuve, j'ai tous les droits donc, je me tire de cette maison, sans un mot. Je récupère le vélo échoué aux abords de la palissade et roule dans le froid pour rejoindre mon refuge préféré. Je dépose à peine mon deux roues sur le gazon recouvert d'une fine couche de neige que la porte d'entrée s'ouvre. Son sourire rayonne et mon cœur se remet à battre, comme s'il n'avait jamais souffert.

The Perfect Prototype 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant