15. Erin

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Si ça fait mal, je laisse la douleur s'infuser, j'appelle ça, repousser les limites.

Juin, 2023

Les dossiers des Rivers étant bien plus cryptés qu'on ne l'avait pensé prennent du temps. Maintenant quarante-huit heures que je tourne comme un lion en cage dans cette foutue planque. On a beau voir et revoir et préparer à la perfection nos prochains mouvements sur le terrain, j'ai la tête qui va exploser. Ça ne va pas assez vite, ils sont encore trop nombreux à respirer. Et ce ne sont pas mes deux nuits consécutives au cimetière qui m'aide à apaiser l'impatience qui coule dans mes veines. Au contraire, à chaque nouvelle visite, la tombe de Jonas et les pseudos-menaces laissées sur ma bécane alimentent mon besoin de sang et de vengeance. De l'hémoglobine, c'est ce qui me pousse à arrêter de frapper pour une énième fois le mur de la salle de sport. Pourquoi cette douleur que je perçois et ressens avec une facilité déconcertante quand je replonge dans mes souvenirs ne parvient-elle pas à m'affecter dans le présent ? Je soupire et replace mon annulaire qui a fini par se luxer sous la force de mes coups. Je me laisse tomber au sol et détache les bandes qui recouvrent encore de nouvelles égratignures. Mes yeux sont attirés la seconde d'après vers la porte ouverte. Isaac sort de sa chambre et rejoins la pièce commune. Je ne retiens pas ce vil rictus qui ne me quitte plus depuis deux longs jours. Il m'évite. Isaac Alexeï Ducon pas Peters me fuit comme la peste. Si le premier matin après la lecture de la lettre, j'interprétais sa distance comme une gêne, les deux matins suivants j'ai compris que c'était en lien avec ma mémoire infaillible. Il a des secrets et je suppose qu'il fuit parce qu'il sait ou pense que je peux les découvrir. Ça sous-entend que mon esprit a plus de connaissances sur Ducon que ce que j'imagine. Tout ne se limite pas à la promesse qu'il a fait à Jonas. D'autant que les dernières recherches de Lucy ont été plutôt fructueuses. Je suppose que le système de piratage que j'ai implanté dans le téléphone secondaire qu'il a dissimulé dans sa chambre a aidé.

—    Hé ! Ducon ! l'interpelé-je alors qu'il retourne dans sa chambre.

—    Oui, ma belle.

Ma mâchoire se serre, j'ai horreur de ce surnom, qu'il soit utilisé en anglais ou en russe. Sa tête apparaît à l'embrasure de la porte, un sourire satisfait aux lèvres. Je me relève et m'avance vers lui.

—    Je te l'ai déjà dit, raille-t-il, c'est toujours le mur qui gagnera.

—    Tu m'évites, éludé-je.

Ses muscles imperceptiblement tendus se détendent, il s'adosse au mur, ses lèvres incurvées, les bras tatoués croisés sur son torse.

—    On vit ensemble et j'arrive quand même à te manquer. Serais-tu déjà éprise, moy prekrasnyy ?

L'envie de lui mettre mon poing dans la figure me démange. Je suppose que c'est un prêté pour un rendu, ma belle pour Ducon et inversement.

—    J'ai une hypothèse, détourné-je encore la conversation.

—    Je suis tout ouï.

—    Tu as tué James à seize ans donc, soit tu as été éduqué pour devenir un mercenaire, ce que pour l'instant je doute puisqu'aucun Peters d'Archers ou d'une tout autre organisation n'est reconnu. Soit, c'est ce meurtre qui t'a fait devenir mercenaire.

Je détache ma deuxième bande et détourne le regard du sien, sa mâchoire a tressailli et son pouls s'est très légèrement emballé. Dans quelques secondes, il se servira du sarcasme pour tenter de garder le contrôle et m'offrira une miette d'indice qui, nous le savons tous les deux, me permettra d'obtenir un torrent d'informations à son sujet.

The Perfect Prototype 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant