40. Isaac

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Je suis le bon puis le mauvais, le réel puis l'irréel. Je suis le passé puis le présent. Mais par-dessus tout, j'aimerais être celui qui panse ses plaies.

Juillet 2023,

Quelques jours plutôt, je me souviens lui avoir assuré qu'elle n'atteindrait jamais mon cœur. Seule sa balle pourrait le toucher voire le briser. J'avais tort. Elle l'a pénétré en une seule fraction de seconde quand la première larme à redessiner les contours de sa joue. Elle s'y est enfoncée quand elle s'est effondrée devant mes yeux sans plus pouvoir se relever. Ce n'est pas du sadisme, je n'apprécie aucunement la voir tomber avec tant de violence, pour autant c'est grâce à cet instant vulnérable qu'elle ait parvenu à m'atteindre. Pleinement. Toutefois, parce qu'Erin est incapable de se laisser aller trop longtemps, elle a fui. Ses mots n'avaient pas encore atteint le centre de mon esprit qu'elle a quitté la salle de bains et s'est enfermée dans sa chambre. Exténué par la soirée passée, j'admets avoir, rendu l'ensemble de mes boyaux dans les toilettes. L'image de la scie tranchant sa structure osseuse m'a retournée d'une façon que je ne pourrais l'expliquer. Jusqu'à aujourd'hui, je refusais de répondre à sa question parce que oui, pour moi, le viol est l'ultime maltraitance du corps, il laisse des marques invisibles à l'âme qui ne guérissent jamais et sème sur la chair des stigmates qui jusqu'à la mort ne pourront jamais être oubliés.

—    Isaac ? s'alarme Sara lorsqu'elle décroche. Tout va bien ?

Mon souffle saccadé est ma seule réponse. Elle marmonne quelques mots à Rosa à priori encore présente dans la maison puis claque une porte.

—    Que s'est-il passé ?

Je me suis retrouvé propulsé dans le passé, voilà ce qui s'est produit, seulement, je ne parviens pas à lui dire. Elle serait terrifiée et s'imaginerait que je retombe dans les abysses du mal. Je ne retomberais pas, jamais. Néanmoins, je l'admets, dans ce gymnase, face aux attaques d'Erin, j'avais envie d'y retourner. Juste une petite seconde. Parce que la folie est comme une drogue, elle nous libère de toutes limites. Celles qui nous force à rester sur le droit chemin, celles qui nous garde dans le moralement et légalement correctes si tant est que l'on puisse l'être dans notre métier. Ce soir, je ne voulais plus de ces limites, je voulais goûter à la liberté malsaine qu'offre le sang et la mort.

—    Isaac, je t'en conjure, parle-moi.

Je ne peux pas. Je le voudrais, mais ma voix est coupée. Je suis figé dans une bulle de souvenirs douloureux, de culpabilité inépuisable et de doutes. Beaucoup de doutes. Il y a plus d'un mois, je n'avais qu'un seul objectif : tuer Erin Sekani. Aujourd'hui, je voudrais foncer dans cette chambre fermée à double tour, la kidnapper et l'envoyer le plus loin possible d'ici. Là où plus personne ne pourrait l'atteindre, là où elle apprendrait à aimer ses souvenirs heureux et éteindre ceux qui la détruisent. Mais ça non plus, je ne peux pas.

—    Il est mort, murmuré-je, Stan est mort.

—    Erin ?

J'acquiesce d'un oui étouffé, les poings serrés pour contrôler le flux d'émotions tortueuses qui enflamment ma poitrine.

—    Et donc tu m'appelles parce que tu es inquiet.

Je me mure dans le silence.

—    Satanée drogue du mal, soupire-t-elle.

—    Comment...comment je la sors de là, Sara...

Je devine le sourire dans sa voix et me maudit d'admettre à voix haute ce que je m'étais juré de garder au plus profond de moi.

—    En arrêtant à tout prix de vouloir la sauver. Accepte ses failles telles qu'elles sont et fais-la évoluer avec. On ne guérit jamais, Isaac, on évolue, on grandit et on apprend. À vivre avec, à accepter que la douleur fait partie de nous et qu'on doit comprendre ses contours pour contrôler ses conséquences.

The Perfect Prototype 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant