PAYOFF

𝗽𝗿𝗼𝗹𝗼𝗴𝘂𝗲

Comme il est effrayant de s'habituer à l'odeur d'une maison qui n'est pas la nôtre.

Jamais, elle ne le sera.

Je les regarde un par un, regroupés autour de la table de la terrasse. Je commence à graver leurs traits que j'épinglerai à ces nouvelles silhouettes fantômes du passé. Je me l'ordonne presque pour éviter les possibles nouvelles fêlures. Car ça fait mal d'imaginer sa présence autour de cette table quand je suis assise ici, sur la chaise qui semblait lui être destinée.

Mais je ne suis pas cette fille.

Je me répète ces mots. Je sens mon cœur battre de plus en plus vite. Je crois même en perdre mon souffle, au bord de l'étouffement. Et ça, personne ne le voit.

Respecte-toi d'abord.

C'est vrai.

Peut-être que moi aussi, je ne me vois pas.

Je fixe le dossier d'adoption posé au coin gauche. Je voudrais le faire disparaître d'un regard. Qu'est-ce qui m'a pris de le signer comme si je n'avais aucun honneur ?

Ressaisis-toi.

Plus qu'une pensée obsessionnelle, je ne cesse de me demander, plus que qui suis-je pour ces gens, qui suis-je surtout pour moi-même. Pourquoi ai-je tant de mal à me faire entendre ?

Tu sais très bien pourquoi.

J'ai tout fait pour qu'ils en parlent.

T'as peur d'avoir raison.

Mais ils ont continué à faire comme si elle n'avait jamais existé.

T'as peur d'en payer les conséquences.

Pourtant, elle était leur sœur, leur fille.

Pensée parasite.

Et maintenant, je me demande à quel point il serait facile pour les Tekdal de ne jamais me mentionner. On est en train de célébrer nos fêlures à venir et personne ne le remarque.

Ça leur est égal.

C'est vrai. Ils ne sont pas moi. Ils ne peuvent pas comprendre ce qui me traverse l'esprit, ou le poids de cette solitude qui grouille dans mon flanc. La solitude est si dense, que si on me l'ôte et la détruit pour de bon, l'air de ce monde serait sans doute moins lourd, moins pollué.

Mais elle subsiste en moi. Alors, loin de leur prise de conscience que je voudrais orchestrer, je bois invisiblement le calice jusqu'à la lie, tout en jouant avec le gâteau dans mon assiette avec ma fourchette. Les secondes défilent, comme les pensées. Mon geste se stoppe.

Secondes.

À la sixième, je la laisse retomber sur la céramique. Tellement lourdement.

Le bruit.