Chapitre 8

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Elena

Le trajet en voiture m'a paru durer une éternité. Les yeux bandés d'un tissu semblable à un bandana sombre, mes sens ont été décuplés tout le temps du trajet. Le bruit assourdissant des moteurs jouant de l'accélérateur bourdonne encore dans mes oreilles. Je ne saurais dire où j'ai atterri cette fois. Je suis lasse de passer d'un lieu à un autre sans parvenir à distinguer un son familier. Du bruit, voilà tout ce qui me vient à l'esprit. Je rêve de pouvoir me poser, de m'allonger et de ne plus me réveiller. Je suis épuisée physiquement, mentalement. Mon corps me fait mal de la racine de mes cheveux jusqu'à mes orteils.

Je n'ai plus d'espoir de m'en sortir. Concrètement, j'ai la mauvaise impression que je ne m'appartiens plus. Quelle est la probabilité de se faire enlever, deux fois, en l'espace d'une semaine ?

Faible. Très faible, je dirais.

— On en fait quoi ? demande l'une des voix que je connais comme étant celle du gringalet.

La pression qu'il exerce sur mon épaule me confirme que je suis la fameuse chose dont il ne sait quoi faire. Ce contact me tétanise. Je sais que je n'ai pas mon mot à dire, pourtant j'ai besoin de tenter une dernière fois de les convaincre de me laisser partir.

— Laissez-moi partir ! S'il vous plait ... je vous promets que je ne dirai rien, je n'irai pas voir la police !

Des rires me parviennent. Je ne vois pas ce que j'ai pu dire de si drôle. En fait, sans jouer sur les mots je ne vois toujours rien, le morceau de tissu est positionné fermement sur mes paupières. Je ne parviens pas à savoir combien de personnes me font face. Je suis envahie par un sentiment de honte et d'intimidation.

— Chérie, tu pourrais aller voir la police qu'elle ne t'aiderait pas. Tu es chez nous, sur notre territoire, me répond une nouvelle voix masculine.

Une énième fois, mon cœur s'emballe. Je ne sais pas si je dois prendre au pied de la lettre ce qu'ils me disent ou si c'est juste une manière de me dissuader de faire quoique ce soit. Je suis loin d'être intrépide. J'ai souvent entendu que des événements pouvaient impacter une personne de manière immédiate et irrémédiable. Je sais désormais que ce n'était pas qu'une façon de parler. Je ne suis plus la même. J'ai relégué ma fougue et mon impulsivité au second plan. Ma survie dépend de moi, uniquement de moi et des concessions que je suis prête à faire.

— Fais la passer à l'étage Waren, intervient une voix rocailleuse.

— N'importe quelle piaule ? interroge le gringalet qui me maintient toujours par l'épaule.

— A ta guise novice, surprend-nous !

Je ne comprends pas le ton de défi qui est donné à ces dernières paroles. Je suis soulagée de ne pas être reléguée une nouvelle fois dans un sous-sol humide, mais je ne parviens pas à alléger le poid qui pèse sur ma poitrine. Une "piaule", j'appréhende de me retrouver de nouveau avec un homme qui tente d'abuser de moi. Peur futile puisqu'il pourrait m'arriver bien pire dans une pièce remplie d'hommes inconnus à l'humeur plus que douteuse.

Je suis dirigée à l'aveugle jusqu'à des escaliers. Je trébuche à plusieurs reprises sur le rebord des marches mais arrive en un seul morceau à l'étage. Je tente d'enregistrer chaque son, odeur, sensation. Je suis déroutée, ce qui a l'air d'amuser ce Waren. Je n'ai pas oublié ce qu'il a dit plutôt "Ça, c'est un joli petit lot, tu m'étonnes qu'ils l'ont gardé". J'ai peur de comprendre ses paroles. Je suis tendue comme un arc à la simple pensée de me retrouver seule avec lui dans une pièce.

On s'arrête, le bruit d'une porte qui s'ouvre se fait entendre. Je sens la main de Waren à l'arrière de ma tête. Je l'imagine qui tripote le nœud de mon bandeau. Quand ce dernier retombe sur mon nez je suis éblouie par la luminosité de la pièce. Retrouver la vue s'apparente sur l'instant à une goulée d'air frais. J'ai l'impression d'avoir retenu tout du long ma respiration.

Black Shadow : l'écho des secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant