Chapitre 30

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Elena

La porte de la cuisine se referme dans un claquement sourd, l'atmosphère s'alourdit, devenant oppressante.

— Tu m'évites, lâche-t-il enfin.

Sans blague. Comme s'il avait vraiment besoin de le dire à voix haute pour s'en rendre compte.

— Elena, regarde-moi.

Sa demande tombe dans le vide. Je serre les mâchoires, me battant contre moi-même pour ne pas croiser ses yeux, cet océan de glace qui pourrait me submerger si je le laissais faire.

— Regarde-moi, s'il te plaît, insiste-t-il, son ton plus doux, mais chargé d'une urgence que je refuse de reconnaître.

Je m'obstine à fixer le mur, mon attention rivée sur un point imaginaire pour ne pas faiblir. Mais je l'entends bouger, et bientôt, il se place directement dans mon champ de vision. Malgré moi, mes yeux finissent par rencontrer les siens, et je sens cette familiarité désarmante s'emparer de moi. Je déteste cette faiblesse.

— Je...

Il hésite, les mots semblent lui échapper. Pitoyable.

— Je ne voulais pas écouter votre conversation, mais... je n'ai pas pu faire autrement.

Bien sûr.

Une boule se forme dans ma gorge. Même dans mes moments de vulnérabilité, je ne peux plus choisir à qui je me confie.

— Ton père est un idiot s'il ne voit pas à quel point tu es une jeune femme de valeur.

Ses paroles me coupent le souffle. C'est surprenant et tellement contradictoire avec ce qu'il a pu m'asséner précédemment. Je vacille entre l'envie de le remettre à sa place pour avoir insulté celui que j'ai longtemps considéré comme le dernier membre de ma famille, et celle de le remercier pour ses mots. Mais je reste silencieuse, incertaine de mon ressenti.

— Pour être honnête, reprend-il après un court silence, moi non plus je n'ai pas eu une enfance facile. Je n'ai jamais connu mon père, et ma mère... elle vendait son corps pour quelques dollars.

Je tente de ne pas laisser la pitié m'envahir, mais ses mots me touchent malgré tout, créant un écho douloureux en moi.

— C'est triste... je suis désolée, dis-je finalement, à demi-mot.

— Tu n'as pas à l'être. C'est juste comme ça.

Un silence pesant s'installe entre nous, chacun perdu dans ses pensées. L'atmosphère dans la cuisine est lourde, presque étouffante. Nos regards se croisent, mais cette fois, ils sont emplis de tout ce non-dit qui nous enserre. Il passe une main dans ses cheveux bruns, et mes yeux suivent la courbe de son biceps, se contractant sous l'effort. Une distraction éphémère, mais suffisamment forte pour me faire oublier l'intensité du moment.

— Tes cauchemars... est-ce qu'ils sont liés à ton père ? demande-t-il soudainement, ramenant brutalement ma conscience à la réalité.

Je redescends aussitôt de ma contemplation. Bien sûr, il fallait qu'il touche à ce point sensible, qu'il pose la question qui me déstabilise.

— Pas seulement... mais en partie, oui, finis-je par admettre à contrecœur.

— Et l'autre partie ?

— Je n'ai pas envie d'en parler.

Il s'assoit à côté de moi, se mettant à califourchon sur le banc. Sa proximité me pèse, mais je refuse de céder à l'inconfort. Il croit que c'est aussi simple que ça, de parler, de tout déballer. Mais il ne comprend pas.

Black Shadow : l'écho des secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant