Chapitre 15 p1

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Elena

Après avoir été raccompagnée manu militari dans ma chambre, et cette fois sans oublier de m'y enfermer, je m'échoue sur le lit moelleux. Je suis sidérée par les propos de Kent. Je me sens tellement conne d'avoir pu croire un seul instant qu'il pouvait être la personne qui intervient pour me sortir de mes cauchemars alors même que nous n'échangeons pas plus de deux mots d'affilés. Mais pire encore, je fulmine contre moi même d'avoir réduit à néant la possibilité offerte sur un plateau d'argent de m'enfuir.

Frustrée et désemparée, je ressasse ces dernières heures. Je ne parviens pas à regretter d'avoir sauvé la vie d'un homme même si je pensais sincèrement que c'était une sorte de renvoi d'ascenseur. Tout ce qu'il se passe dans ma vie actuellement m'affecte. Je n'aurais jamais cru avoir assez de cran pour opérer une personne, il faut rappeler que ce n'est normalement pas dans mes compétences. Et pourtant ... Devon n'a eu qu'à me supplier de le faire pour que je saute le pas. Cet homme exerce un pouvoir sur moi sans que je ne parvienne à savoir pourquoi. Certes, c'est un bel homme mais j'en ai vu plus d'un dans ma vie et aucun ne m'a fait cet effet. Comment est-il possible de passer d'un sentiment de peur, à celui de l'admiration puis de l'excitation pour enfin finir sur la colère en un claquement de doigts ?

Je ne sais pas ce qu'est le "messe". J'ai entendu ce moment sur plusieurs lèvres lorsque j'étais encore dans la grande salle du bar. Je comprends mieux d'ailleurs l'esprit festif qui se dégage chaque soir au rez-de-chaussé. Je n'ai aucune idée d'où tout le monde est parti, en revanche le silence qui est omniprésent entre ces murs m'angoisse après ces heures de stress et de tensions partagés avec les reste du gang enfin du club. Je peux tenter de me voiler la face tant que je veux mais je suis bien obligée d'avouer que j'ai aimé avoir l'impression, pendant un bref instant, d'appartenir à un groupe. Mes compétences ont été mises en valeur et le regard de tous ces hommes qui inspirent la crainte et paradoxalement le respect a changé dès lors que la vie de Kent n'a plus été en danger.

La fatigue me submerge tout d'un coup, le trop plein d'émotions ayant raison de moi. Je décide de me mettre sous les couvertures et de tenter de profiter de cette quiétude pour me reposer quelques instants.

Lorsque j'ouvre les yeux, je remarque instantanément que la luminosité a changé. Les rayons du soleil passent au travers des long rideaux beiges. Je ne sais pas l'heure qu'il est, mais cette petite sieste m'a fait le plus grand bien. Je me redresse lentement et commence à m'étirer, levant les bras au-dessus de ma tête.

Je manque d'avoir un arrêt cardiaque quand je m'aperçois que je ne suis pas pas seule dans ma chambre. Devon est affalé dans le rocking chair, son regard perçant sur moi. Ma main se porte contre ma poitrine, comme si ce simple mouvement me permettrait de retrouver une respiration normale.

— Mais qu'est-ce que tu fais là ? Ça t'arrive souvent de regarder les gens dormir comme ça ?!

— Ah on passe au tutoiement maintenant, toi et moi ?

Je me sens rougir. Il n'a pas tort. Jusque là j'ai toujours maintenu une distance avec un "vous" alors que nous devons avoir sensiblement le même âge.

— Ça me va bien, d'autant que tu vas rester un petit moment avec nous, ajoute-t-il.

Mon sang quitte mon visage, mon cœur rate un battement avant de reprendre sur un rythme effréné.

— Nous avons pris une décision concernant ton sort entre nos murs. Tu vas rester parmi nous. Au vu de tes compétences tu pourras faire les soins de Kent jusqu'à ce qu'il se remette sur pied. Tu as toute la confiance du doc, ce qui n'est pas rien. Le reste du temps tu sera réquisitionnée pour le service au rez-de-chaussé.

Je me retiens de demander qui est ce nous. Pour autant je sens la colère monter en moi. Une fois de plus je dois subir le choix d'autres.

— Je n'ai donc jamais mon mot à dire ? m'énervé-je.

— Non, répond-il d'un ton ferme.

Je ferme mes paupières, tentant de refouler du mieux que je peux, les larmes qui commencent à inonder mes yeux.

— Pour être transparent avec toi, deux options ont été envisagées. Te tuer, ou te garder en vie en échange de toute ta coopération ...

Son ton laisse suggérer des sous-entendus qui ne me plaisent pas.

— Qu'on soit au clair toi et moi, fis-je en nous pointant du doigt alternativement, jamais, je dis bien jamais, mon corps sera un élément de l'équation, répliqué-je avec plus de véhémence que je ne m'en sentais capable.

— Du calme trésor. Comme je te l'ai dit, j'attends de toi une expertise médicale et une aide au bar. Rien de plus, ajoute-t-il en me regardant de haut en bas, comme si je ne représentais rien de plus qu'un vulgaire cailloux dans sa chaussure.

Je me rembrunis face au surnom qu'il utilise. Je ne suis pas son trésor et je suis encore moins à lui. Instinctivement, mes bras se resserrent sur ma poitrine, comme pour souligner le fait que je n'aime pas ses manières. Bizarrement, le fait qu'il n'attende rien de plus que moi me ... vexe? Son regard inquisiteur sur mon corps est pire qu'une insulte.

Il se prend pour qui ce bouffon ?!

Je m'abstiens toutefois de faire la moindre remarque. Laisser paraître la moindre émotion donnerait bien trop de poids et d'important à ce qu'il pense ou dit. Je ne comprends pas ce qui me prend de réagir de la sorte. Je devrais plutôt me ravir du fait qu'il n'imagine pas que je puisse servir de poupée gonflable.

T'en es à ce stade ma pauvre fille.

Et pourtant... pourtant je me retrouve là contrariée et piquée dans ma fierté.

— Ecoute, souffle-t-il en se prenant la tête entre les mains, tu n'es pas en mesure de nous dire ce que nos ennemis ont contre toi pour t'avoir kidnappé et maintenu dans des conditions ... enfin voilà ... et nous on t'en doit une pour avoir sauvé la vie de Kent. Vois ça comme une manière de te protéger de ce qui t'attend à l'extérieur de notre territoire, ok?

Je suis prise d'un rire hystérique. Ce mec est fort, très fort. Il essaie de retourner la situation, et de se faire passer avec toute sa clique comme des preux chevaliers.

— Si je suis ta logique faudrait que je te remercie, c'est bien ça ?

— Peut-être bien...

— Dans tes rêves ! Non mais tu t'entends ?

Un nouveau rire sort de ma bouche, indignée par ce qu'il me propose. La tension devient de plus en plus oppressante, je me lève du lit sur lequel je suis encore assise.

— Je n'ai rien fait pour me retrouver dans cette situation de merde ! ça s'intègre dans vos petits cerveaux ? Non ? Parce que j'ai comme un doute là ! Je me suis retrouvée au mauvais endroit, au mauvais moment, voilà tout. Alors ton petit discours comme quoi je suis plus en sécurité, enfermée entre ces quatres murs, plutôt que dehors c'est des foutaises !

Je frôle la crise de nerfs. Pour autant, je ne parviens pas à réfréner mes ardeurs.

— C'est hors de question que je reste une minute de plus !

Devon m'arrête avant même que je ne fasse le moindre mouvement. Sa proximité me procure des frissons le long de mes bras. Son regard se pose sur ma peau puis remonte, s'attardant quelques instants sur ma bouche avant de revenir sur mes prunelles. Ma gorge s'assèche. Je déglutis difficilement. Je maintiens notre contact visuel tant bien que mal, en essayant de ne pas lorgner ses lèvres pulpeuses et de commettre une grosse bêtise.

Non mais qu'est ce qui me prends, bon sang !

—Tu n'iras nulle part, sois sûre que j'y veillerai personnellement.

Ça sonne comme une promesse. 

Black Shadow : l'écho des secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant