Chapitre 29

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Elena

Je ronge mon frein depuis 2 jours. Si au début Devon m'évitait comme la peste, désormais c'est moi qui fais mon possible pour ne pas me retrouver en sa présence. Autant dire que c'est loin d'être simple puisque comme il me l'a si gentiment rappelé ce matin au détour de la cuisine : il est chez lui.

Voir cette Nora sortir de sa chambre, un large sourire sur sa bouche refaite et son corps en plastique m'a chamboulée. OK, ce n'est pas bien de juger sur le physique, mais je ne peux réprimer ce sentiment un peu trop présent qui me tiraille et me bouffe de l'intérieur rien que d'y repenser. Je ne sais même pas pourquoi je réagis de la sorte.

Si ses sous-entendus vis-à-vis de Waren me sont restés en travers de la gorge, j'ai tenté de dissiper le malentendu en vain. Il a préféré garder le silence, fuir.

À moins qu'il n'ait été trop occupé, et que je me fasse des idées.

Son attitude assassine dans la cuisine prouve que ça ne l'a pas laissé de marbre. Argh, je ne sais plus. J'ai l'impression qu'il s'immisce petit à petit dans ma tête, je me retrouve toujours à tenter d'analyser la moindre de ses réactions. Mon corps est dans l'attente de son attention, et je déteste ça. Je mens, j'adore la sensation de son regard qui me suit quand je me trouve dans la même pièce que lui. Je n'ai aucune idée de ce à quoi il pense, mais j'aime à croire que je lui fais un petit effet. En revanche, lui n'est pas du tout mon genre, c'est plus une question d'égo.

Menteuse.

Je décide d'aller préparer un petit quelque chose pour ce midi. J'aime le fait de pouvoir me déplacer dans l'enceinte du bâtiment et avoir désormais l'accès aux espaces un peu plus privés. Gagner leur confiance n'a pas été une mince affaire. J'ai le sentiment de retrouver une sorte de normalité, d'adopter une routine qui rend ma « captivité » plus confortable. Je ne sais pas si le mot convient. Ni attachée, ni enfermée, simplement limitée dans mes déplacements, je ne subis pas de maltraitance. Mais je me sens perdue sur ce que je ressens, sur ce que je vis, sur ce que l'on attend de moi. Si l'on ajoute à cela que personne ne m'attend en dehors de ces murs...

Je décide de laisser mes sombres pensées de côté et rejoins la cuisine. Au menu, des pâtes à la crème de chorizo. La majorité des gars ne mangent pas sur place habituellement, mais depuis que j'ai investi la cuisine d'Alana, ils sont chaque jour un peu plus nombreux, friands de mes plats en sauce. Pouvoir m'occuper l'esprit et les mains m'apaise. J'ai le sentiment de me rendre utile. Découvrir, A. me fait du bien également. Paradoxalement, on se ressemble autant que l'on s'oppose. Dans d'autres circonstances, je ne sais pas si nous aurions pu devenir amies. Penser à ma vie d'avant me donne le cafard. Je préfère occulter mes souvenirs, enfouir au plus profond de mon esprit les cauchemars qui me tourmentent toujours autant. Je me rends compte qu'avant même de quitter Harrisburg j'avais tiré un trait inconsciemment sur ma vie là-bas. Mon kidnapping m'a éloigné un peu plus que prévu de mon ancien chez moi, mais plus rien ne m'y retient. Jared n'a apparemment donné aucun signe de vie. Notre amitié n'était peut-être pas si importante pour lui. Et mon père... y songer me fait monter les larmes aux yeux. Notre dernier échange a été si intense.

— Hé, tu pleures ?

J'essuie la petite larme qui se fait la malle sur ma joue dans une vaine tentative de faire comme si de rien n'était. Alana m'observe de ses grands yeux marron. Plonger mon regard dans le sien a quelque chose de réconfortant, familier sans que je ne sache pourquoi.

— Non, tout va bien, tenté-je de la rassurer.

Ce n'est pas le moment de m'apitoyer sur mon sort.

— Je vois bien que non. Tu veux en parler ?

Black Shadow : l'écho des secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant