Chapitre 13 p1

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Elena

Mon pouls pulse dans mes tempes. J'avance lentement, prête à faire demi-tour et à m'enfuir à toutes jambes à n'importe quel instant. Je ne sais pas ce qui me pousse à aller au devant du danger alors qu'une issue s'offre à moi, les bras tendus. A chaque pas, mon souffle se fait plus court. Une boule d'angoisse remonte dans ma gorge.

— Qu'est-ce qu'il fout le doc ?!

— Il devrait arriver d'une minute à l'autre.

— D'une minute à l'autre c'est pas suffisant ! Kent peut passer l'arme à gauche à tout instant.

— Ses fils de chiens vont le payer !

Délicatement je pose ma main sur la rambarde en bois. J'appréhende le craquement des marches sous mes pas. Par chance, le ton monte et le brouhaha camoufle mon avancée. Je pourrais encore rebrousser chemin et saisir l'opportunité que m'a laissé Waren, sans que personne ne s'en rende compte. Mais une force inconnue m'empêche de faire machine arrière et me pousse à poursuivre.

Un pied après l'autre j'entame la descente vers un destin plus qu'incertain. Les entendre parler de Kent et le savoir entre la vie et la mort ne me rend pas insensible. C'est comme si je me sentais redevable qu'il se soit montré présent pour moi depuis que je suis enfermée ici.

C'était ses ordres.

Je sais que dans d'autres circonstances nos chemins ne se seraient jamais croisés. C'est étrange ce sentiment envers une personne qui nous est pourtant inconnue. On ne peut pas dire que j'ai développé une amitié avec cet homme et pourtant, je ressens de la gratitude envers lui. A chaque cauchemar sa présence me fait émerger de mes pensées les plus sombres, de mes souvenirs les plus douloureux. Le temps d'un instant il est ce phare au milieu d'une marée d'émotions qui me submergent sans que je ne puisse lutter.

Je suis quasiment tout en bas des marches lorsque je m'arrête net. J'ai l'habitude de voir des scènes compliquées lors de mes gardes à l'hôpital, mais je pense que je n'étais pas préparée à cette vision en dehors de mon lieu de travail. Il y a du sang partout ; le sol, la table. J'aperçois sur plusieurs chaises en bois des morceaux de tissus imbibés de liquide rouge dans ce qui semble avoir été une vaine tentative d'éponger ce carnage. Kent git de tout son long sur une grande table au centre de la pièce, inconscient.

Hypnotisée j'avance sans me soucier une seule seconde d'être vue. De toute façon, à cet instant, je ne suis plus Elena la détenue mais Elena l'infirmière. Mes réflexes prennent le dessus. Il faut que je l'aide.

— Oh merde.

Tous les regards se portent sur un gars blond, plutôt bien bâti, puis sur moi. On repassera pour la discrétion. Le silence se fait, comme si chacune des personnes présentes dans la pièce retenaient leurs respirations. Ils ont perdu assez de temps. Plus je m'approche de Kent et plus mes doutes se confirment.

— Il faut stopper l'hémorragie.

Ma voix n'est qu'un souffle. Je ne suis pas certaine qu'ils m'aient entendu tant ils restent tous immobiles.

— IL FAUT STOPPER L'HÉMORRAGIE, reprends-je d'une voix forte. Ce n'est pas de la détresse mais de l'urgence que l'on y décèle.

— Qu'est ce que tu fais là toi ? Comment...? lance l'un des gars présent dans la pièce.

— Si vous ne vous dépêchez pas, il sera trop tard.

Ignorant délibérément les questions qui fusent autour de moi, je m'efforce de rester concentré sur le patient étendu devant moi. Mon cœur bat la chamade alors que je tente désespérément de m'approcher un peu plus de la table ensanglantée. Chaque seconde compte, mais soudain, un barrage humain se dresse devant moi, m'arrêtant net. Je lève rapidement la tête, les yeux écarquillés, pour affronter celui qui m'obstrue la vue. Le second du gang et son regard de glace, ça ne promet rien de bon.

— Même pas en rêve ! J'ai aucune idée de comment tu as pu sortir mais ta petite escapade s'arrête là. Scott attache là, on a pas le temps de la gérer.

Mon regard croise celui de Waren, situé à la limite de mon champ de vision. Je le vois pâlir instantanément. Notre échange ne passe pas inaperçu, et une vague de culpabilité m'envahit. Pourquoi ai-je détourné mon attention vers lui, même un instant ? Devon réagit aussitôt, attrapant Waren par le col de sa veste en cuir marquée d'un badge "novice". Mon cœur se serre, consciente que ma distraction vient de mettre Waren dans une situation délicate.

— Putain me dit pas que tu as laissé la porte ouverte, novice !

Waren lève les mains de chaque côté de sa tête en signe de reddition.

— J'ai pas fait attention Dev', elle dormait et je pensais pas ....

— C'est ça ton problème gamin, tu penses jamais !

Les épaules du jeune métisse s'affaissent sous le poids des mots de son supérieur. Je ne peux pas décemment rester impassible.

— Pourquoi être aussi aigri avec lui ? Il a simplement commis un oubli !

Le silence s'installe dans la pièce, pesant et oppressant. J'aimerais disparaître, me fondre dans la masse, mais c'est impossible avec le cercle qui s'est formé tout autour de moi. Les regards sont braqués sur moi, et la chaleur de l'embarras monte à mes joues. Il faut vraiment que j'apprenne à me taire, ou à tourner ma langue sept fois dans ma bouche.

Un semblant de rire sort de la bouche de Devon.

— Commence pas à me chauffer, reste à ta place.

—Vous faites une grave erreur. Laissez-moi le voir, dis-je en montrant d'un signe de tête Kent, sur la table.

— Non.

Ferme, glacial.

— Je suis infirmière, reprends-je sans me démonter.

L'air dubitatif qu'il me lance me laisse indignée. À quoi s'attendait-il ? J'ai presque l'impression qu'il aurait été plus compréhensif si je lui avais annoncé être strip-teaseuse.

— Elle dit vrai.

Je me retourne vers l'homme que je reconnais comme étant celui présent lors de mon interrogatoire quelques jours avant. Je ne perds pas de temps à plus le détailler et me replace face à Devon en levant un sourcil interrogateur quant à la suite.

— On n'a pas toute la soirée. La balle a pu traverser ou endommager plusieurs organes vitaux. Poumons, cœur, foie, voire la colonne vertébrale.

Mes explications sont factuelles, dénuées de toute émotion. Je vois le doute et la détresse s'installer dans ses yeux. Son regard se voile quelques secondes, comme s'il était perdu dans un dilemme interne.

Son corps finit par se décaler, légèrement, me donnant l'aval pour commencer mon examen.

Sans plus attendre je commence un rapide compte rendu de situation.

— Pas de détresse respiratoire, mais légère distension de l'abdomen ici, dis-en montrant le second impact de balle.

J'essaie de le relever légèrement. Kent pèse réellement son poids. Un blond me vient en renfort pour le soutenir le temps que je finisse mes examens.

— Je vois l'impact d'entrée mais pas de sortie pour l'une des balles. Il faut lui retirer afin de pouvoir refermer. Vous avez des nouvelles de votre ... médecin ?

Je perçois des signes de tête qui me répondent par la négative. Ça me paraît mal engagé. Même si Kent n'est pas en détresse respiratoire, il faut agir vite.

— L'un de vous a déjà extrait une balle ?
Je me retourne vers l'assemblée, qui m'observe avec des gros yeux. Je les regarde un par un dans l'espoir d'avoir une réponse positive. Chacun me répond par la négative. Je les sens complètement déstabilisés par mes questions.

— J'en déduis que non. Si votre médecin n'arrive pas rapidement, les dommages pourraient être conséquents. Kent a perdu beaucoup de sang. L'un de vous connaît son groupe sanguin ?

— A+, me répond le geek tatoué. Je suis compatible. On doit avoir un kit de transfusion. Je vais le récupérer.

Il se précipite à l'opposé de la pièce et disparaît. Le silence gagne de nouveau la pièce, rompu par deux petits mots :

— Fais-le.

Black Shadow : l'écho des secretsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant