Chapitre 5: Amila

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Ces trois années ont filé entre mes doigts sans que je ne puisse les retenir, m'amenant à l'aube de ma destinée. Je n'ai pas beaucoup changé, mais je me suis un peu remplumée, sous la supervision malicieuse de Mamette. Je me regarde dans le miroir tandis qu'elle me coiffe en pleurant, pour la dernière fois. J'ai longtemps retenue mes larmes, et passer cette dernière journée chez moi me fend le cœur. Nina est consternée et cherche à passer le plus clair de son temps en ma compagnie. Nous ne vivions plus que toutes les deux avec mère, et avec mon départ, elle se retrouvera seule. Mère ne lui a pas encore trouvé de prétendant, mais ça ne saurait tarder.

— Vous êtes bien trop jolie pour ce vieillard mal empoté ! Jure Mamette à travers ces sanglots, en prenant soin de passer ses doigts dans mon épaisse chevelure d'or.

— Mamette ! Je m'offusque, tout en lui fait un sourire plein de compassion. Elle pose sa petite main boudinée sur mon épaule, et je lui prends en la plaquant sur ma joue. Une larme s'échappe et perle sur mon visage fraichement maquillé.

— Oh Ma Dame, vous allez gâcher votre mise en beauté, me dit-elle, le menton tremblant.

— Vous me manquerez Mamette, vous avez été pour moi comme une mère, vous avez pris soin de moi et... Ma voix se brise et je ravale un sanglot.

Elle prend mon visage et le dépose contre elle en me caressant la joue.

— L'avantage quand on est une jeune femme qui se marie avec un vieil homme, c'est qu'on lui survie, me dit-elle avec une expression de résignation qui s'apparente à de l'encouragement. Je lui réponds avec un sourire pincé et elle relâche son étreinte.

— Espérons que la mort nous sépare donc plus vite qu'il ne convient, je lance, et Mamette étouffe un rire, puis se raidit quand ma mère pénètre dans ma chambre.

— Es-tu enfin prête ? Me demande-t-elle sèchement.

J'observe ma figure maquillée et mes cheveux coiffés, et acquiesce en la regardant dans le miroir.

— Bien, tu pars dans trois heures, profites-en.

Elle s'éloigne et mon cœur s'alourdie. Trois heures, c'est tout ce qui me reste dans mon ancienne vie. Les domestiques ont bouclé mes valises et Nina m'attends en bas des escaliers en compagnie de...

— Violetta ! Je cours dans les bras de ma sœur et j'éclate en sanglot.

— Je voulais pouvoir te faire mes adieux me dit-elle, les larmes aux yeux.

Je ne l'ai pas revu depuis le mariage de Kleya, et elle est encore plus maigre que la dernière fois. Son visage est recouvert d'une épaisse poudre blanche mais certaines parties ont l'air gonflé. Je fronce les sourcils avec colère en analysant sa figure.

— Que t'a-t-il fait ? je demande, avec une froideur dans ma voix qui me rappelle celle de ma mère.

— Rien. Elle repasse une mèche de ses cheveux blonds qui ont perdu leur éclat devant son visage, et me fait un sourire peiné. Je fulmine, mais je n'ai pas envie de passer les deux heures et cinquante minutes restantes à me disputer avec mes sœurs.

— Venez, allons-nous promener dans le jardin, une dernière fois toutes les trois.

Nous marchons et parlons de l'ancien temps, des bêtises que nous faisions, et du nombre de fois que nous avons fait tourner Mamette en bourrique, quand soudain sonne le glas. Mamette nous appelle et je comprends que c'est l'heure pour moi de dire adieux à mes sœurs.

Nina se jette sur moi et éclate en sanglot, je la serre fort contre moi, et retiens mes larmes.

— Tu vas tellement me manquer, me dit-elle, secouée par des hoquets.

— Je reviendrais te voir, je te le promets, je frotte doucement son dos.

Violetta m'ouvre ses bras et je m'y love. Elle dépose un baiser sur mes cheveux, puis se penche à mon oreille :

— Tout ce que je peux te donner pour te préserver, c'est ça. Elle glisse une fiole dans la poche de ma robe. Pendant ta nuit de noces, concentre toi sur ce qui t'entoure, ne pense pas à ce que tu subis, crois moi, cela vaut mieux pour toi, pour t'éviter de sombrer dans la folie.

— Amila ! M'appelle ma mère.

— Merci, je vous aime tellement toutes les deux, si vous saviez.

— On t'aime aussi Amila, me souffle Nina à demi-mot.

Je m'éloigne le cœur lourd, et glisse ma main dans ma poche pour y serrer la fiole que m'a donné Violetta. Je sais ce qu'il contient. Ma sœur, à sa façon, me donne de quoi me protéger.

J'embrasse une dernière fois Mamette, qui s'essuie les yeux avec un mouchoir, puis fait face à ma mère. Celle-ci reste droite, et me regarde avec mépris.

— Je te revois à ton mariage, d'ici là, tâche de bien te tenir, ne fait pas honte au nom Rovergale.

— Oui mère, j'acquiesce, puis lui fait une révérence avant de monter dans la calèche me menant à la vallée.

J'entends Nina qui crie mon nom, mais je ne me retourne pas. Je pleure seule, en silence, en priant pour que la foudre s'abatte sur mon futur mari.

Nous remontons la colline, je m'aperçois que mes pleurs m'ont tellement épuisé que je me suis assoupie. Je suis bercée par les secousses de la calèche qui m'emmène vers mon pauvre destin morne et dénué de joie. Je sors le flacon que m'a donné ma sœur. De l'extrait de Flamme Pourpre, un puissant contraceptif. Je remercie le ciel de m'avoir donner une sœur comme Violetta. La pire chose qui pourrait accompagner ce mariage soit que je porte les descendants de cet ignoble individu.

La colline serpente, nous emmenant sous l'Isle Elisandre, et mon cœur n'est plus que tambour dans ma poitrine, ma gorge n'est plus qu'une boule dans ma trachée, et mes larmes sèches ont tracés des sillons assombris sur mes joues. Le cochet immobilise le véhicule, ouvre la porte et me fait descendre. Une autre calèche m'attend : Elle est magnifique, toute d'or et de d'argent, et tractée par des chevaux ailés. Le cochet me confie à son collègue, et je monte dans ce véhicule féérique. Il claque son fouet et les chevaux s'élancent. Mon estomac s'enfonce au plus profond de mes entrailles tandis que nous nous élevons dans les airs. J'étouffe un cris de surprise, et fermes les yeux. Nous montons de plus en plus haut, et je suis plaquée contre mon siège auquel je m'accroche. Je ne suis retenue par aucune ceinture, et il n'y a aucune poignée à laquelle m'agripper. Soudain, nous stabilisons notre altitude. Nous sommes à la même hauteur que l'Isle, et nous en faisons le tour avec douceur. Je ne sens plus aucune secousse, et la peur qui m'habitait fait place à une fascination déconcertante. Le palais du Roi Edmond est une splendeur d'architecture, mais j'ignorais qu'il y avait également une grande foret qui encerclait le parc. Un immense jardin au végétations savamment sélectionnées s'étend au sud du château tout de blancs, de bleu et d'or. Je n'ai jamais vu pareil merveille.

Les chevaux s'approchent de plus en plus de l'Isle, et je ferme les yeux sous l'anticipation du choc de l'atterrissage. 

La Saga des Trois Cités: T1 La Dévoreuse d'OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant