Chapitre 9: Amila

0 0 0
                                    


Je suis complétement possédée par la peur. Je marche à vive allure, et me dirige vers le bureau d'Elichias dans l'espoir qu'il puisse me donner un petit remontant qui m'abrutira. Je ne supporte plus cette pression. Mon mariage est dans vingt-quatre heures. Mes boyaux sont tellement tordus que j'ai l'impression que plus aucun aliment n'entrera dans mon estomac. Je n'ai plus revu le Général depuis ma première soirée sur l'Isle, et le fait d'être liée à lui fait palpiter ma jugulaire avec aigreur. Dieux que je réprouve cet homme ! Je suis tellement pressée que je manque de rentrer dans quelqu'un que je ne vois même pas. Mes yeux sont rivés sur mes pieds qui me portent jusqu'à la bibliothèque d'Elichias. Je monte les escaliers quatre à quatre en soulevant mon jupon, et entre sans ménagement dans cette pièce poussiéreuse où des milliers de livres sont entassés.

— Monseigneur ? je l'appelle d'une petite voix aiguë qui trahie mon anxiété.

La petite silhouette de l'homme remue dans un coin de la pièce, et je me précipite vers lui.

— Oh Dame Rovergale ! Bien le bonjour !

— Bonjour Monseigneur, je suis navrée de vous importuner dans votre travail, mais j'ai besoin de votre aide.

— Vous ne m'importunez pas Ma Dame, je vous écoute. Son ton est à la fois bienveillant, et dénué d'intérêt.

— Comme vous le savez, je me marie demain, et... Je réprime un sanglot, je suis vraiment angoissée...

— Tout se passera à merveille, il prend ma main dans ses doigts crochus et me la tapote affectueusement, le Roi et la Reine veillent à ce que tout soit parfait.

— Mais...

— Il est normal de stresser pour un évènement aussi important, ce n'est pas tous les jours qu'on se marie, n'est-ce pas ?

— Ce n'est pas...

— Tout ira très bien Ma Dame, j'y veillerai personnellement. Ne vous faites pas de soucis.

Je ressors en trombe, en proie à une tempête intérieure qui déferle en moi. Ce mage de pacotille n'écoute pas ce qu'on lui dit. Espèce d'imbécile ! Je remonte dans mes appartements, et me retrouve seule. Je n'ai plus que mes yeux pour pleurer, et des idées sombres commencent à glisser dans mon esprit. J'ai besoin de voir Nina, Violetta, Mamette... Repenser à leur visage me brise le cœur. Quelle genre de vie m'attends ? Je vais devenir une femme de la cour, solitaire et déprimée, et la vieillesse me fera devenir comme mon aigrie de mère. Je m'y refuse !

Je regarde par-dessus le balcon de la chambre, et si je m'y jetais ? Non, il est hors de question que j'offre ce spectacle, cela nuirait à la réputation de ma famille. J'ouvre la porte fenêtre et regarde à l'horizon. Ma fenêtre donne sur les jardins, au fond desquels s'étend le vide de la vallée. Si je me jetais depuis la balustrade des jardins, on ne me retrouverait pas, personne ne saurait ce qui m'est arrivé, le nom de Rovergale ne serait pas entachée. Je suis complétement aux abois et passe le plus claire de ma journée à pleurer, en réfléchissant. Je dois voir la hauteur à laquelle je suis. Le soir arrive, bien trop vite à mon gout. C'est décidé, je dois me rendre aux jardins.

Mon cœur bat à tout rompre. Je n'ai pas envie, dieux que je n'ai pas envie d'épouser cet homme. Je me précipite sur la rambarde en pierre, seul rempart entre moi et le vide. La mort serait un échappatoire intéressant, mais trop expéditif. J'ai passé ma journée à y penser, à imaginer la souffrance sur le visage de mes sœurs. C'est beaucoup trop douloureux.

Le couché de soleil qui s'étend à l'horizon amorce les dernières heures qui s'écoulent avant mon mariage. Je ne peux pas me marier, c'est impossible.

Les larmes chaudes et salées coulent sur mes joues, et j'enfouie mon visage dans mes mains. Ma mère, ma maudite mère m'a vendue à cet homme hideux et cruel, dans le seul but d'élever le nom de Rovergale dans la cour du Roi Edmond. De quels atrocités est-elle encore capable ? Je pense à Nina, ma pauvre petite sœur, la dernière a ne peut pas avoir encore été promise à un homme. Mon cœur se serre davantage. Je n'arrive plus à réprouver mes sanglots.

— Cessez donc vos jérémiades !

Une voix masculine se fait entendre derrière moi. Je me retourne mais je ne vois personne. J'essuie mon nez d'un revers de manche.

— Qui est là ? Je demande, d'une voix peu assurée.

— La haut.

Je lève la tête. L'étrange mage que j'ai vu à la tablée du Roi Edmond est allongés sur une épaisse branche du pommier du jardin. Il mange un de ses fruits avec délectation. J'ai du mal à voir son visage, mais ses deux yeux ocres brillent telles deux flammes d'une bougies dans l'obscurité.

— Vous avez fini de vous morfondre ? Me demande-t-il avec insolence.

— Allez au diable ! Je rétorque, en me retournant vers le vide derrière la balustrade. Je n'ai pas envie de me justifier auprès d'un inconnu.

— Si vous voulez sauter, faites donc, mais cessez de m'importuner !

— Vous êtes exécrable ! Si je vous dérange tant, vous pouvez vous prélasser ailleurs ! Le jardin est assez grand pour cela !

— Je veux me prélasser ici, sous cette vue magnifique.

Je frissonne car il ne regarde pas le coucher de soleil. Il me regarde-moi. Je grimace.

— Cessez donc ce genre de compliment déplacé et laissez-moi tranquille.

Un bruit sourd me fait comprendre qu'il est descendu de son arbre. Ses cheveux noirs et court se balancent au gré de la brise du crépuscule. Son unique mèche blanche est vacillante.

— Pourquoi vous lamentez vous ? Me demande-t-il avec un ton détaché qui m'insupporte.

— Je dois me marier, je réponds sèchement.

— N'est-ce pas le rêve de toute les petites filles Andrasiennes ?

— Pas le mien, et pas avec cet homme.

— le Général Jankic, c'est ça ? C'est pourtant un bon parti.

Il s'appuie sur la rambarde à côté de moi, croque dans la dernière bouchée de sa pomme, et lance le trognon dans le vide. Celui-ci rebondit contre un mur invisible qui le projette à nouveau sur terre et roule à mes pieds. Je suis estomaquée.

— Vous n'avez pas d'issus, me dit-il avec la légèreté d'un homme qui lui, est libre.

Ma peur et mon angoisse font place à de la colère, j'ai cependant une once d'espoir qui me galvanise en le voyant.

— Vous êtes un mage, c'est bien ça ?

Il me lance un regard comme si je venais de l'insulter.

— Un mage ? Un mage... Je ne suis pas n'importe quel mage ma Dame ! Je suis Murthak Frugor Vankarten.

Son nom m'est vaguement familier, mais je ne parviens pas à me souvenir exactement pourquoi.

— Et bien Monseigneur Murthak Frugor Vankarten, auriez-vous la gentillesse de m'aider à m'enfuir ?

Il éclate d'un rire sonore, et je me vexe.

— Me croyez-vous assez fou pour aider la femme du premier Général des armées du Roi à s'enfuir ? Cela signerait ma mort !

— J'ai besoin de votre aide !

— Navré ma chère, je ne suis pas là pour aider les donzelles à échapper à un mariage sans amour. Bonne chance !

Il s'évapore dans l'obscurité, emportant avec lui mes maigres espoirs. Je reste seule, perdue et complètement vidée. J'observe le vide inatteignable, et me jeter du haut de mon balcon apparait comme une issue plus envisageable, mais je n'en fais rien.

Je retourne dans ma chambre et me recouche, mouillant mes draps de larmes. Je me demande comment a fait Violetta pour tenir. Peut-être que la seule pensée de nous abandonner la fait résister. Je me demande si cela me suffira. Il m'est impossible de dormir, je me plonge dans l'obscurité de la nuit avec un désespoir qui me paraît sans fin. 

La Saga des Trois Cités: T1 La Dévoreuse d'OmbresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant