Chapitre 1

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L'automne avait raison du feuillage qui dansait dans un tourbillon de grâce autour de moi. J'aimais ces moments où j'étais libre de mes mouvements, débarrassée de mes responsabilités, loin de la surprotection des personnes qui m'entouraient. Normal d'être protégée à 12 ans, mais dans mon cas, cela allait bien au-delà.

Je pris sur la droite un petit escalier escarpé qu'on avait voulu confondre avec la nature. Il menait à un chemin tortueux que j'adorais. Sur ce chemin, on avait l'impression de quitter totalement la ville pour un moment. Les belles habitations se dressaient plus haut sur la gauche, alors que sur la droite, à travers le timide feuillage, s'étendait la campagne à perte de vue.

Au milieu de l'escalier, je sentis une présence derrière moi. Un homme. Je ne savais pas s'il en avait après moi ou s'il ne faisait que poursuivre son chemin d'un pas rapide, mais il me rattrapait, et j'avais un mauvais pressentiment. J'accélérais. Je pouvais entendre ses pas s'approcher et je hâtai ma course. Mon pied glissa sur un caillou et je tombai, m'écorchant les genoux et les bras. Des mains délicates me saisirent pour m'aider à me relever. Un frisson me parcourut à ce contact avec l'homme qui avait quelques années de plus que moi.

– Tout va bien, jeune fille ? Je suis désolé, je vous ai fait peur.

– Ne vous inquiétez pas. Tout va bien, merci.

– Laissez-moi regarder.

Malgré une certaine réticence, je laissai l'inconnu soulever mon poignet. Il y avait quelques éraflures, mais rien de bien grave. Il s'avança vers mon second poignet et je me rendis compte que mon collier orné d'une sublime gemme pourpre s'était échappé de sous ma chemise. Il ne réagit pas, il avait dû la prendre pour un simple bijou. Il inspecta donc mon second poignet en bien plus mauvais état. Puis il passa à mes jambes qui lui arrachèrent une grimace. Mes genoux et mes mollets étaient striés de bandes rouges écarlates dont s'échappaient quelques filets de sang.

– Avez-vous de quoi vous soigner sur vous ?

Je regardai étrangement l'homme. Il était surprenant de demander ça à une petite fille. Pourtant, il avait raison. J'avais toujours une petite bourse sur moi qui comportait de quoi dispenser les premiers soins en cas d'urgence. L'homme le savait-il ? Je l'observai à la dérobée. Non, il ne me connaissait pas. N'avait aucune idée de qui j'étais. Je confirmai d'un signe de tête.

– Donnez-moi ça, je vais vous soigner.

Il m'avait l'air honnête et bon, et j'étais douée pour comprendre les gens. Mais on m'avait toujours dit de me méfier des inconnus, et nous étions trop éloignés de la civilisation pour que je puisse appeler à l'aide au besoin. Revenir en arrière paraîtrait bizarre et pourrait le mettre mal à l'aise.

– Pas ici.

Je m'élançai d'un pas rapide sur le sentier, afin d'atteindre au plus vite l'autre côté. À ma grande surprise, il ne protesta pas et me suivit sans un mot. Je sentais du sang couler de mes plaies, mais là où la plupart des filles de mon âge auraient été horrifiées, ça ne me dérangeait pas. J'étais du genre solide et la vue du sang ne me faisait ni chaud ni froid.

Arrivée à un endroit où je pouvais facilement appeler à l'aide, je m'arrêtai et me retournai vers l'homme. Je vis qu'il n'osait pas me regarder directement dans les yeux, trop intimidé. Étrange, pour un jeune adulte, d'être intimidé par une fille de 12 ans. Encore, s'il savait qui j'étais, mais ce n'était pas le cas.

– Je... je m'appelle Sayon. Et vous ?

Je dus réprimer un rire en me rendant compte du temps qu'il lui avait fallu pour poser la question.

– Alice.

Pour éviter un nouveau moment de gêne pour lui, je lui tendis la bourse pour les soins d'urgence, question qu'il puisse se concentrer là-dessus. Je savais m'y prendre pour éviter de mettre les gens mal à l'aise.

Il la prit avec la même délicatesse que si je lui avais confié mon bien le plus précieux, et chercha à l'intérieur. Il sortit un morceau de tissu et de l'extrait d'aloe vera. Je lui montrai mon genou qui pissait le sang et il fit une moue dégoûtée. Il prit le temps de nettoyer le sang et d'appliquer le gel tiré de la plante sur chacune de mes plaies avec une extrême délicatesse. La gouvernante n'aurait pas fait mieux. Maman non plus, à l'époque. Et papa n'aurait rien fait.

Il me fit un grand sourire que je lui rendis.

– Ça devrait aller maintenant. J'espère que nous nous reverrons...

– J'espère aussi, répondis-je sincèrement.

Et il partit sans demander plus d'informations sur moi, ni comment me revoir. Il manquait peut-être de tact, mais n'était certainement pas un rustre. Je fus néanmoins amusée de le voir marquer un temps d'arrêt en se rendant compte que nous n'avions aucun moyen de nous revoir en dehors du hasard. Mais il ne se retourna pas.

J'entendis un martèlement de pas venir de l'autre côté. Décidément, j'avais du succès aujourd'hui. Je vis le chef de la garde du palais, Gontran, courir vers moi, et attendis qu'il arrive. J'espérais qu'il avait une bonne raison d'interrompre ma pause.

– Princesse, nous avons un problème avec votre père.

DamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant