Chapitre 59

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Une petite voix entêtante me répète ma résolution depuis la mort de mon frère : Tu ne tueras plus.

La scène que je découvre est celle que j'ai pu voir dans ma vision dans la grotte, quand j'avais le choix entre avancer vers le futur et retourner vers le passé. Je vois pour la première fois la ville à l'aube d'un couronnement. Tout étincelle, depuis l'or des ornements qui envahissent les maisons habituellement sans fioritures, jusqu'aux blancheurs immaculées des habits du peuple que j'ai l'habitude de voir avec des tenues bien plus banales. Même le sol est parfaitement propre, ce que je croyais impossible.

Tu ne tueras plus.

Tant d'efforts pour couronner une pourriture. La joie des individus est feinte tandis qu'ils font semblant d'assister à l'un des plus beaux moments de leur vie. Toute la lumière étincelante de la ville n'atteint pas les sourires qui affichent une vaine grimace.

Tu ne tueras plus.

D'un geste, je me débarrasse de ma cape pour me dévoiler au grand jour. L'habit vient se déposer doucement sur le sol et les regards se tournent vers moi. Les sourires contraints deviennent rassurés voire victorieux et une joie sincère s'étend dans la foule. Tous s'abaissent et mettent un genoux à terre pour célébrer le retour de leur Reine. J'en viens à me demander comment j'ai pu douter de leur accueil. Je sens toute leur positivité m'envahir pour me donner leurs forces. J'accélère le pas, voyant du coin de l'œil mon peuple continuer de s'agenouiller sur mon passage. Je ne lâche pas du regard le palais devant moi.

Tu ne tueras plus.

J'arrive devant le petit escalier avant l'entrée du palais et le survole pour atteindre les gardes. Je lève ma main en l'air, et l'épée que j'avais enterrée près de la tombe de mon frère y apparaît dans un éclat pourpre. Il n'en faut pas plus pour qu'ils s'écartent du chemin, me libérant l'accès.

Tu ne tueras plus.

J'arrive dans le large hall d'entrée. Les tables sont remplies de personnalités plus importantes les unes que les autres et de certains proches de Georges. Ça me dégoûte de voir qu'ils font déjà une sélection pour savoir qui a le privilège de manger à la réception du "futur Roi". Et pendant ce temps, les autres sont contraints d'attendre à l'extérieur que Georges daigne pointer le bout de son nez. Du moins, c'était le cas avant mon arrivée. Car à présent le peuple est derrière moi, et les invités de la réception quittent leur table pour s'éloigner au plus vite de leur colère. Georges est déjà sur le trône et je lui fais face. D'un côté la Reine suivie du peuple, et de l'autre l'imposteur et ses amis de la haute.

Tu ne tueras plus.

– Bonjour, Georges.

– Alice. Quel bonheur de te revoir parmi nous. Que nous vaut ce plaisir ?

– Ton règne temporaire est fini. Tu peux disposer.

– Disposer ? Je n'ai pas d'ordres à recevoir de celle qui a abandonné son peuple.

– Un peuple qui se trouve derrière moi, conscient que je suis partie pour le libérer de la malédiction.

– Alors peut-être peux-tu m'expliquer pourquoi il t'a fallu autant de temps pour revenir ?

– Difficile de comprendre le deuil pour quelqu'un qui n'hésite pas à sacrifier sa mère pour répandre une malédiction sur le royaume.

– Calomnies ! Tu n'as aucune preuve de ce que tu avances.

– En ai-je besoin ?

Le murmure d'approbation derrière moi le dispense de répondre.

Tu ne tueras plus, répète encore la voix dans ma tête tandis que ma haine pour Georges résonne dans mes tempes.

– Tu sais que ce genre d'accusations peut te valoir une peine de mort ?

– Vas-y, j'attends.

– Oh, non. Je ne me permettrais pas de faire une chose pareille à ma belle-soeur.

– Ta quoi ?

– Ma belle-sœur. Après tout, ma mère m'a eu de ton père avec qui elle couchait de façon... assez régulière. Et en tant qu'ainé je suis le digne successeur de père.

J'éclate de rire et ça a un son étrange dans ma bouche tant ça fait longtemps que ce n'est pas arrivé.

Tu ne tueras plus.

– Toi, mon demi-frère ? Je croyais que tu voulais être Roi, pas bouffon du Roi.

– Comment oses-tu... ? Bon, très bien. Puisque je ne suis pas de ta famille d'après toi, je suppose que je n'ai aucun scrupule à avoir. Tuez-la, qu'on en finisse.

D'un regard, je dissuade les gardes d'effectuer le moindre geste et ils restent pétrifiés. La voix se fait plus forte et plus insistante dans ma tête. Tu ne tueras plus. Tu ne tueras plus.

– C'était un plaisir d'échanger ces quelques mots avec toi, mais à présent il serait temps que tu libères ta maudite carcasse de ce trône qui m'appartient.

– Qui t'appartient ? Rien ici ne t'appartient. Tu t'es détournée du pouvoir et il est trop tard pour réclamer le trône. Je suis le digne héritier et le couronnement est sur le point d'avoir lieu. J'ai déjà le soutien des souverains des autres royaumes et t'y opposer serait t'attirer leurs foudres. Tu ne voudrais pas déclencher une guerre ? Ce ne serait pas dans l'intérêt de ce peuple auquel tu sembles tant tenir. Tu as perdu, quoi que tu fasses, et quoi que puissent penser tous ces idiots derrière toi.

Je suis devant son trône et brandit mon épée.

Tu ne tueras plus. Tu ne tueras plus.

– Dégage de mon trône, fils de pute.

Le son du tranchant de ma lame se répercute à travers le silence de la salle, bientôt suivi de l'impact du crâne de Georges sur le marbre. Son corps sans vie s'affaisse au sol pour laisser la place sur le trône. Libre.

DamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant