Chapitre 21

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L'angoisse vient me tirer de ma nuit sans rêve. Des bruits dehors m'interpellent et je tente brusquement de me lever mais m'écrase instantanément au sol sous la douleur. Les brumes encéphales du réveil m'ont fait perdre un instant la réalité de ma condition. Mes gémissements de souffrance réveillent mon frère qui commence à s'agiter à côté de moi, mais mon attention se porte sur les sons à l'extérieur. C'est davantage l'instinct qui a dû me réveiller, car les bruits de pas sont encore lointains, mais restent bien réels.

– Qu'est-ce qu'il y a Alice ?

J'essaie de parler mais les mots se fondent dans ma bouche pour ne laisser entendre qu'un gazouillis indistinct, teinté de fatigue intense dûe au manque du sommeil venu se rallier à la douleur. Je relance la machine de trois raclements de gorge laborieux avant de reprendre.

– Il y a du monde dehors et j'ai un très mauvais pressentiment, il faut partir.

– Mais... d'accord.

J'entends Sam se relever et s'affairer dans la petite maison pour réunir nos affaires. Je mets à contribution ce temps pour enclencher la terrible épreuve qu'est celle de me remettre debout. La seule chose qui me permet d'y parvenir est la certitude que ceux dehors en ont après nous, surtout en entendant les bruits de pas de plus en plus proches. Mon état me fait craindre le pire. Même avec toute la volonté du monde, je me demande sincèrement comment je pourrai m'en sortir dans mon état, après tous les efforts fournis la veille. D'ailleurs, les bruits de pas... ils sont juste devant la porte, non ?

Sam revient à mes côtés pour me dire que tout est prêt et pile à ce moment là je vois un homme passer sa tête par la fenêtre de la maison.

– Ils sont là !

La porte se fait défoncer et le soldat commence à enjamber la fenêtre quand je comprends que nous sommes foutus, nous n'avons plus aucune chance de nous en sortir. Après tant d'efforts, comment peut-on en finir ainsi ? Si seulement je n'étais pas blessée...

– Nous sommes attaqués ! s'écrit un homme dehors.

Le résultat est instantané. Les soldats qui s'apprêtaient à entrer font volte-face et la menace doit être importante car ils ne réfléchissent même pas à nous attraper en laissant les autres s'occuper des assaillants. Qui peuvent être nos improbables alliés ? Je n'en ai pas la moindre idée mais ne prends pas le temps de réfléchir à la question.

– Viens Sam, profitons-en !

Je prends la main de mon frère et me mets à courir, ou plutôt essaie de le faire avant de renoncer et de me contenter de marcher. On enjambe avec difficulté la fenêtre de l'autre côté de la maison, moi obligée de m'allonger sur le rebord pour parvenir à hisser mon corps par-dessus, et mon frère s'éraflant les genoux sur la pierre après plusieurs tentatives pour monter malgré sa petite taille. Arrivés à l'extérieur, je me rends malheureusement compte que Konrad n'est pas là. Il doit nous attendre de l'autre côté, où je l'ai laissé devant la maison. Là où sont les soldats.

On contourne en silence la maison et la scène se révèle sous nos yeux. Je m'attendais à voir deux bataillons s'affronter, mais le seul bataillon est celui de nos assaillants. Leurs adversaires se comptent sur les doigts de la main, mais ils sont suffisamment bien organisés pour faire face. Un puissant feu rugit au centre du champ de bataille, plusieurs soldats tombés dans un piège sont en train de se relever, et deux personnes sont en train de tirer des flèches depuis les maisons sur les soldats. Par contre, Konrad n'est toujours pas là.

Comme si je venais de l'appeler, mon destrier surgit de la forêt dans laquelle il s'était caché et fonce droit sur nous. Il s'arrête à mon niveau car il sait que je suis incapable de monter pendant qu'il est au galop, comme je le ferais sans être blessée. Konrad se met à genoux pour nous aider à monter, chose qu'aucun cheval ne ferait à moins d'avoir un lien incroyablement fort avec son cavalier. Avant de partir, j'ai le temps de voir l'un de nos deux sauveurs se faire tuer et le second regarder dans ma direction et disparaître. Quant aux gardes, quelques-uns nous voient et deux cavaliers se lancent à nos trousses.

Konrad part au galop et j'entends les sabots derrière tenter de nous suivre. Ils parviennent à tenir le rythme pendant pas mal de temps, avant que le fracas sur le sol ne commence à se faire moins puissant. Ils s'éloignent. Je pense être tirée d'affaires lorsque de nouveaux fracas indiquent l'arrivée d'un troisième cavalier. Je ne connais aucun cheval plus rapide que Konrad, mais mon destrier est encore fatigué, ce qui le rend moins efficace. C'est un bon cheval bien reposé à nos trousses.

Konrad nous dirige seul à travers la forêt, prenant la meilleure trajectoire pour optimiser le parcours. L'expérience paie car, malgré le désavantage de la fatigue, les deux destriers galopent à la même vitesse. J'entends l'homme à nos trousses crier mais ne comprends pas ses mots, et ça n'a de toute façon aucune espèce d'importance. Je reste concentrée sur ma position pour gêner le moins possible Konrad dans sa course. Les arbres autour de nous sont flous mais je devine que ce n'est plus uniquement dû à la vitesse. Je peine de plus en plus à garder les yeux ouverts et je sens mon esprit partir. Je lutte contre la fatigue tant bien que mal, car il nous faut fuir, nous retrouver hors de portée de notre poursuivant.

Mais soudain, tout devient noir et je me sens tomber du dos de Konrad.

DamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant