Chapitre 37

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Je n'ai pas eu le choix, il a fallu que je laisse la gemme à la petite, dont je me rends compte que je n'ai aucune idée du nom. Je vais avoir besoin d'elle et elle aurait des problèmes si elle revenait sans la gemme de mon frère.

Elle m'a guidé vers une salle peu utilisée dans laquelle se trouve un placard assez grand pour que je m'y faufile, et j'attends maintenant que la nuit tombe. Lorsque la vigilance au monastère sera la plus basse. La fillette m'a donné quelques indications sur comment s'y retrouver dans le bâtiment et elle devrait me laisser un message pour me dire quelle chambre sera attribuée à mon frère. Ensuite, ce sera à moi de jouer. Mais en attendant, je patiente, priant pour que le temps daigne passer plus rapidement. Mais il semble se délecter de mon ennui. Il faut si longtemps pour commencer à voir la lumière décliner à travers les interstices du placard... J'étends mes jambes comme je peux et laisse mes pensées prendre leurs aises.

Seule, cachée dans mon placard en attendant le moment opportun pour sortir, je sens un profond sentiment d'abandon m'étreindre. Cette impression que quoi qu'il arrive je serai toujours seule pour faire face. Je peux être autant entourée que je le veux par ceux qui me soutiennent ou mon frère, le fait est qu'au moment d'agir, il ne reste que moi. Les moments passés avec les autres sont incapables de faire disparaître cette implacable solitude qui s'insinue dans toutes les parties de mon cerveau, et le cerveau étant relié à l'ensemble du corps, ce sont mes membres qui tremblent sous la pression qu'elle exerce. La lumière que dégage mon entourage se fait si lointaine tandis que je fais face aux ombres qui menacent ma volonté.

L'odeur de renfermé se fraie un chemin jusqu'à mon cœur, et mes jambes se dérobent sous un poids immense. Ce genre de poids contre lequel le physique ne peut rien, et le mental se voit si faible, car c'est contre lui-même qu'il doit se battre. Un sanglot me secoue. Puis un second. J'entends le bruit d'une goutte sur le sol et comprends que ce sont des larmes qui dévalent mes joues. Dans un gémissement, je décide de m'abandonner à ma douleur et pleure toutes les larmes de mon corps. Privée de toute force, ma tête se retrouve plaquée contre le bois tiède et mes jambes peinent à s'étendre dans l'espace restreint, tentant de repousser les limites du placard. La position est loin d'être confortable, pourtant je n'ai aucune volonté de bouger.

Mes halètements se font trop forts mais ça n'a plus aucune importance. J'ai bien le droit d'enfin laisser les larmes couler. Elles attendent depuis trop longtemps, et je sens déjà une forme de soulagement lointain poindre le bout de son nez. C'est fou qu'il ait fallu un placard à l'abri de tout regard pour que je me laisse enfin aller, trop faible pour accepter les larmes devant d'autres. Après un énième sanglot j'en viens à me demander si je pourrai un jour m'arrêter. C'est un flot discontinu qui s'écoule, à faire pâlir les cascades. Pourtant il faudra bien une fin car ma respiration difficile aura besoin de retrouver un rythme normal. Mourir de chagrin, il y a mieux comme manière de partir. Si tenté qu'il y ait un intérêt à mourir d'une belle manière. Après tout, je ne serai plus là pour trouver ma mort triste, et les apparences n'auront plus d'importance à mes yeux. On leur donne déjà bien trop d'importance de notre vivant, qu'on me laisse être ridicule dans la mort.

Mais ce n'est pas aujourd'hui que je vais quitter ce monde, car enfin les sanglots s'espacent et les larmes se font plus timides. Mes yeux sont secs après avoir autant pleuré. Je prends ma gourde vide et, dans un espoir ridicule d'y trouver une goutte d'eau, je la porte à mes lèvres. Ma gemme pourpre s'éclaire et c'est un délicieux filet d'eau qui s'écoule de la gourde maintenant pleine.

– Un jour je comprendrai comment tu fonctionnes, toi.

En la regardant plus attentivement, je constate qu'elle a retrouvé le même éclat qu'avant la malédiction. Depuis notre départ, elle s'était faite de plus en plus sombre lorsqu'elle se manifestait, mais là elle est de nouveau d'un pourpre clair, pur.

– Mes larmes t'ont redonné un peu de pureté ?

Un oiseau, comme celui qui m'avait guidé lorsque j'avais découvert l'existence de mon frère, jaillit et éclaire l'espace confiné du placard. Son aura apaise mon coeur encore douloureux.

L'oiseau disparaît et je comprends que le moment est venu. La porte du placard s'ouvre dans un grincement sinistre et je sors dans ce qui ressemble à une ancienne salle d'école. Les tables équipées de casiers sont si vieilles qu'il serait dangereux d'y poser le moindre cahier. Sans parler des bancs qui leur sont reliés, qui auraient des difficultés à supporter le poids d'un hamster. D'ailleurs j'ai du mal à comprendre la logique de relier table et banc, empêchant d'adapter la distance de son siège avec celle de la table. Comme si ce n'était pas déjà assez désagréable de rester assis des heures.

J'avance à l'aveugle dans le couloir car aucune lumière ne vient éclairer le bâtiment plongé dans l'obscurité, si ce n'est un mince halot qui provient de la lune au dehors dont l'éclat se fraie un chemin à travers les fenêtres.

Mes mains tâtonnent les murs à peine visibles et mes pieds se prennent des objets que je peine à identifier. Arrivée au bout du couloir, juste avant l'escalier, je repère la petite table abandonnée où se trouve comme prévu un bout de papier. Dans une salle à côté, une large fenêtre offre une bonne luminosité et je m'y rends pour mémoriser le message de mon alliée de fortune qui m'indique où se trouve la chambre de Sam.

En bas de l'escalier, j'arrive dans un nouveau couloir pas beaucoup plus éclairé, mais l'environnement se fait plus sain car mieux entretenu. Chose qui ne rassure qu'à moitié car j'ai d'autant plus de chances de tomber sur des veilleurs.

Un bruit de pas retentit plus loin et je vois une lueur ocre se refléter sur le mur, au niveau d'une intersection. J'opte pour un détour dans le sens inverse pour ne pas me retrouver dans son champ de vision.

J'avance au gré des sons, changeant régulièrement d'itinéraire pour éviter les veilleurs dont je perçois les pas, et après un moment qui me paraît trop long je me retrouve dans le couloir avec les chambres des enfants. Celui là même où je m'étais retrouvée avant de sauter par une fenêtre pour rejoindre la cour intérieure.

La petite m'avait prévenue, il y a bien deux gardes pour surveiller le couloir. Je sors mon arc, encoche une flèche, patiente un instant. Puis quand je suis certaine qu'ils ne regardent pas dans ma direction, sors de derrière l'angle du couloir pour tirer sur une corde accrochée au plafond. En plein dans le mille, la corde rompt et la lanterne qui y était attachée s'écrase au sol. Les deux gardes se précipitent dessus.

– Qu'est-ce que c'était que ça ?

– Une lanterne ? Qu'est-ce qu'elle fout là ?

– Soit c'est encore une blague, soit quelqu'un rôde dans les couloirs.

– Peut-être bien les deux.

Un hurlement glacial retentit dans l'une des chambres et j'ai beau y être préparée, j'avoue avoir un frisson d'angoisse tant il est puissant. Les deux veilleurs, après avoir fait un bond, se précipitent dans la chambre, me laissant l'accès libre dans le couloir. Je me précipite jusqu'à la chambre indiquée par la petite et entre. Il y a six lits et je suis surprise de les trouver tous vides, à l'exception d'un seul où mon frère se tient assis. Je me précipite sur lui et il écarquille les yeux en me voyant. Il tente d'ouvrir la bouche mais c'est trop tard.

– Bonsoir, Alice.

Je me retourne tout juste pour voir une masse fondre sur moi. Je ressens l'impact sur mon crâne avant que tout ne devienne noir.

DamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant