Damnation

Chapitre 14

Si l'homme se retournait il croirait que je l'assassine du regard, mais c'est vers mes pensées que je suis tournée. Son comportement est étrange, je m'en rends compte maintenant que je ne suis plus aveuglée par la faim. Je sens la présence rassurante de mon épée dans mon dos. J'ai refusé de la quitter.

Rassurée, je découvre que c'est bien à une salle de bain qu'il nous a menés. Il referme la porte derrière nous et nous nous retrouvons seuls avec un bain duquel de la vapeur s'échappe et un bac pour laver nos vêtements. Je m'attelle au nettoyage de nos habits, laissant Sam profiter du bain.

– L'eau est bien chaude ! s'exclame-t-il.

Parfait. De mon côté, je peine à nettoyer les vêtements incrustés de crasse. Au moins, entendre mon frère profiter à côté me met un peu de bonne humeur le temps d'étendre nos vêtements. Une fois fait, je prends sa place dans le bain. L'eau est encore bien chaude et c'est un tel plaisir après autant de temps dans le froid ! Je sens mes muscles se détendre sous les bienfaits de la chaleur et frotte la saleté si fort que ma peau devient rouge pour retrouver le plaisir de la propreté.

Je commence à m'assoupir lorsque mon instinct me tire de la quiétude. Je n'ai plus le moindre doute : il se trame quelque chose dehors. Je sors du bain en vitesse.

– Sam, rhabille-toi vite, il faut s'en aller d'ici.

– Mais pourquoi ?

– Fais-moi confiance. On doit partir, tout de suite.

– Mais les vêtements ne sont pas encore secs...

– Tant pis.

La sensation d'enfiler des vêtements mouillés est horrible. On se bat contre eux et ils collent à notre peau, nous faisant déjà oublier la chaleur du bain. Je fais signe à Sam d'être discret et nous sortons de la salle de bain. À peine sortie, j'entends qu'il y a du mouvement en bas. La porte d'entrée claque et une voix forte retentit.

– Où sont-ils ?

– Dans la salle de bain. La fille se doutait de quelque chose mais depuis le temps qu'ils y sont elle a dû baisser sa garde.

– Parfait. Montre-nous où c'est.

– Suivez-moi.

La peur se lit sur les traits de mon frère quand il dit :

– Tu avais raison.

– J'aurais préféré me tromper. Dépêchons-nous.

J'entends déjà les pas dans l'escalier et entraîne Sam dans une autre pièce. C'est un bureau jonché de documents et d'instruments, mais surtout, il y a une fenêtre. Je fonce vers elle et découvre qu'une milice entière nous attend en bas. Impossible de passer par là sans se faire repérer.

– Par là ! m'appelle Sam.

Il se trouve devant une nouvelle porte et je m'apprête à le rejoindre quand un objet attire mon attention, sur une commode juste à côté de l'entrée du bureau.

– Dépêche-toi Alice !

Je fonce en ignorant Sam qui me demande ce que je fais et prend la boussole. Dans la salle de bain, ils viennent de découvrir que nous ne sommes plus là et le chef hurle de fouiller la maison.

– Vite !

Je rejoins mon frère et nous refermons la porte derrière nous. Une chambre. La fenêtre donne toujours sur le même endroit de la ferme, où se tient la milice, par contre je vois une échelle pour monter au grenier. Les soldats fracassent la porte du bureau. Ils ne vont pas tarder.

– On monte ! je dis à Sam en le portant sur l'échelle.

– Mais il faut descendre, pas monter ! s'oppose-t-il en montant malgré tout.

– Fais-moi confiance.

Je ne sais pas combien de fois j'ai dis ça depuis que nous sommes partis mais je dois tenir un record.

En haut, je remonte l'échelle pour les empêcher de nous suivre et referme la trappe quand ils débarquent dans la chambre.

– Ils ne doivent pas être bien loin ! Fouillez tout !

Ils n'ont pas remarqué la trappe et je m'offre un moment pour souffler un peu. Le grenier est envahi de poussières et de vieilleries et des petits pas précipités sur le plancher indiquent la présence de rats. À première vue, rien de ce qu'on pourra trouver ici est susceptible de nous servir. Que des breloques inutiles. La lumière est faible à travers deux petites fenêtres rondes poussiéreuses.

– Regarde ! s'exclame Sam.

Une grande carte du royaume de Valenar recouvre le mur au fond et je le rejoins.

– On est où, Alice ?

– Attends, je regarde.

Je repère Solstieg, pose mon doigt dessus, et essaie d'estimer la direction prise. Je repère le cours d'eau que nous avons longé, qui comme je le craignais va vers le nord quand nous devons aller vers l'ouest. En remontant, je trouve une ferme avec un peu plus loin un village.

– On doit être ici.

– On en a fait de la route !

– En effet.

Et ça ne nous a pas avancé d'un pouce. La distance jusqu'aux gorges de Sénalune est toujours aussi importante. Au moins, nous avons évité de nous éloigner.

– Comment on fait pour partir, maintenant ? demande Sam.

Mon regard se tourne vers les fenêtres et je n'ai pas besoin d'en dire plus pour qu'il comprenne.