Chapitre 16

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Sur le dos rassurant de Konrad, le calme revient et la pression retombe. Sur ce cheval je me sens toujours si bien, comme s'il était un prolongement de moi-même. Et c'est peut-être le cas quand je vois la facilité avec laquelle il a su nous retrouver. Je sors la boussole dérobée au fermier pour affiner légèrement la direction et aller droit vers l'ouest.

– C'est quoi ? me demande mon frère en voyant l'objet.

– C'est une boussole. Ça permet de se repérer. Regardes, tu as cette aiguille qui indique dans quelle direction on va. Si elle pointe sur le N ça veut dire qu'on va vers le nord.

– Le N ?

– C'est cette lettre-là. Ici, à l'opposé, c'est un S pour le sud. Sur les côtés, un O pour l'ouest, et un E pour l'est.

– Ça pointe ici. Donc on va vers l'ouest, c'est ça ?

– Oui, c'est ça.

– Il y a quoi à l'ouest ?

– Notre destination, l'endroit où on pourra mettre fin à la malédiction.

– D'accord. Mais alors on n'est pas allé dans la bonne direction avant. Le monsieur a dit où était le nord et on allait par là.

Mince, il est perspicace ce gamin.

– C'est vrai, on s'est trompés de direction. Enfin, je me suis trompée. Désolée.

– Ça arrive de se tromper, le principal c'est que maintenant on va au bon endroit. Et ça va aller vite avec ce cheval !

– Oui on va aller vite !

– C'est pour ça que tu as volé la boussole ? Pour ne plus se tromper de chemin ?

– C'est ça.

– D'accord.

Avec la retombée d'adrénaline, la douleur dans mon dos est revenue, plus forte que jamais. Ça me fait si mal, mais je ne veux pas m'arrêter maintenant. Je veux aller loin, très loin, le plus loin possible avant de s'arrêter. Je suis prête à endurer la douleur autant qu'il le faut, et aussi violente qu'elle soit. Ce qui m'inquiète par contre, c'est que je n'ai absolument aucune compétence pour me soigner. Car le craquement à l'atterrissage ne laisse aucun doute quant au fait que des os se soient brisés. Il me faudrait quelqu'un pour s'en occuper, mais il n'y a personne, car nous ne pouvons avoir confiance en personne. L'altercation à la ferme l'a prouvé.

– Dis Alice, il est arrivé quoi aux deux personnes qui nous suivaient ?

– Écoutes... je n'avais pas le choix, il a fallu prendre une décision, et...

– Et tu les as tués.

– C'était eux ou nous, je n'avais pas le choix.

– D'accord. Mais j'aime pas quand tu tues des gens.

– J'essaierai d'éviter autant que je peux.

– Autant que tu peux ? Tu penses que tu vas devoir recommencer ?

– Si je n'ai pas le choix.

Sam reste songeur un instant et je ne sais plus quoi dire. Je n'ai pas voulu lui mentir et de toute façon il avait bien compris ce qu'il s'était passé, mais la vérité reste douloureuse. Moi-même j'ai mal en repensant à ces deux humains à qui j'ai ôté la vie, alors je n'ose pas imaginer ce que ça doit représenter aux yeux d'un enfant. Pourtant, il reprend et ses mots me surprennent.

– Tu sais, je crois qu'il ne faut pas toujours croire ce qu'on dit. Parce que apparemment tuer des gens et voler c'est pas bien et ce sont les méchants qui font ça, mais toi tu l'as fait et pourtant tu es gentille.

– Tu me trouves gentille malgré tout ?

– Ben oui.

– Merci Sam.

Ça me fait plaisir d'entendre ses mots. Par contre, ils m'ont aussi rappelé une autre réalité. Il a raison, je suis une meurtrière et une voleuse. En moins d'une journée je suis passée de future Reine à criminelle en cavale. En soi, mon atroce douleur dans le dos n'est pas cher payée pour les âmes que j'ai prises.

Les arbres continuent de défiler, nous rappelant toute la grandeur de cette forêt infinie qui remplit pas loin de la moitié du royaume. Le vent glacial fouette nos visages, et nous restons silencieux dans cette longue et douloureuse course. Il ne fait aucun doute que, bientôt, il nous faudra nous arrêter. Si on continue ainsi pendant trop longtemps, j'ai peur que ma blessure ne devienne trop grave, et Sam a besoin de moi pour le protéger. Et j'ai besoin de me protéger moi-même.

– On devrait s'arrêter, Alice. Tu vas avoir trop mal au dos.

Je commence sincèrement à me demander s'il ne lit pas dans mes pensées. Il a raison et j'incite Konrad à ralentir pour observer l'environnement qui nous entoure. Malheureusement, je ne pense pas trouver d'endroit aussi bien que tout à l'heure. Il n'y a aucune grotte dans le coin, et je décide de m'arrêter près d'une rivière. Au moins, nous aurons de l'eau. Une fois Konrad à l'arrêt, je tente de descendre. Mais là, je me retrouve bloquée. Mon dos est paralysé, je n'arrive pas à effectuer le moindre mouvement.

Sam comprend ce qu'il se passe et descend avant moi. Il y arrive plutôt bien malgré sa taille par rapport à ce cheval immense. Il essaie ensuite de m'aider à descendre mais je vois bien qu'il est trop petit. Il n'arrive pas à m'atteindre et même s'il y arrivait, il serait incapable de me retenir pour m'empêcher de tomber. Dans d'autres circonstances j'aurais pu rire ou être attendrie par son geste, mais là seule demeure la détresse. Je n'ai aucune idée de comment faire.

– Alice, approche-toi d'un arbre pour t'appuyer dessus.

– Tu as raison, je vais essayer.

J'amène lentement Konrad jusqu'à un arbre et je vois Sam nous suivre. Je m'appuie contre le tronc et me demande maintenant quoi faire, car j'ai beau réfléchir, je ne sais pas comment descendre.

– Utilise l'arbre et laisse-toi tomber, je vais te rattraper.

– Je vais t'écraser.

– C'est pas grave, je vais essayer quand même. C'est toujours toi qui me protège, c'est à moi maintenant.

– Tu es sûr ?

Son regard déterminé répond à sa place. Je prends donc le tronc entre mes bras et commence à me faire basculer sur le côté. Très vite, je ne parviens plus à me tenir à l'arbre, et je chute. J'atterris sur Sam qui tombe sous mon poids mais parvient malgré tout à amortir le choc. Il se décale ensuite en haletant pour me déposer doucement sur le sol.

Un instant plus tard, me voilà allongée sur le dos, et je me mets à rire nerveusement tant de soulagement d'être enfin allongée que à cause de la douleur qui me transperce. Je ne sais même pas si je serai capable un jour de me relever. Mon frère ne réagit pas à mon rire nerveux et prend ma gourde pour essayer de m'aider à boire. Je fais en sorte de recouvrir mon calme pour me désaltérer. L'eau me fait du bien.

– Je dois faire quoi Alice pour t'aider ?

– Je ne sais pas, Sam. Il faut que j'arrête de bouger un moment mais je ne sais pas ce qu'il faut faire d'autre.

– Comment tu te sens ?

– J'ai mal. Et j'ai très froid.

– Comment on fait un feu ?

– Je ne sais pas. Je crois qu'on n'a pas vraiment de quoi en allumer un.

– D'accord.

À la place, Sam me prend dans ses bras. Je comprends qu'il veut me réchauffer, et à défaut de réchauffer mon corps il me réchauffe le cœur. C'est déjà beaucoup.

DamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant