Ma gemme étincelle de plus en plus fort, jusqu'à laisser émerger une lueur violette qui flotte devant moi. J'essaie de la toucher mais elle s'échappe dans l'autre sens. La lueur se transforme en aigle pourpre, et continue sa route à travers le couloir comme pour m'indiquer un chemin à suivre. S'il y a bien une chose en laquelle j'ai pleinement confiance, c'est ma gemme. Alors, je suis l'aigle. Je peux sentir l'excitation monter en moi devant cette manifestation de pouvoir, qui n'avait encore jamais été aussi forte. Il est fréquent que ma gemme manifeste son pouvoir lorsque je suis seule, mais à ce point ? Et je ne mentais pas à mon père en lui disant que je ne savais pas comment me servir d'elle. Son pouvoir s'exprime de manière totalement aléatoire sans que je n'aie rien demandé, et sans que je ne puisse rien faire. Chose que mon père aurait détesté apprendre, lui qui est toujours dans le contrôle de tout. Mais moi, ça me va d'avoir une gemme qui n'en fait qu'à sa tête. Ça nous fait un beau point commun.
Enfin, l'aigle s'arrête devant un mur entre deux tapisseries, et disparaît. Je m'attendais à une révélation, pourtant le pan de mur est totalement normal. Vide. J'ai beau tâter la paroi, rien ne semble le différencier de n'importe quel autre mur. Il n'est pourtant pas possible que ma gemme m'ait fait une blague. Pas de ce genre. Alors, pour voir, je tente de m'éloigner du mur. Instantanément, la gemme se met à me brûler au niveau du cœur. Comme pour me reprocher de vouloir aller voir ailleurs.
– Eh ben voilà, maintenant dis-moi ce que je dois faire plutôt que de me faire miroiter devant ce mur blanc !
Je sens alors une impulsion me faire lever brusquement ma main droite, saisir la gemme, puis la diriger vers le mur. Je l'approche, jusqu'à ce que la pierre entre contact avec le mur. La lueur pourpre s'intensifie pour emplir la pièce, bientôt rejointe par une seconde lumière vert foncé qui émane de derrière le mur dont une partie a disparu pour ouvrir un passage vers une zone du château qui m'est inconnue.
– Tu ne peux pas me mettre une meilleure lumière ? On n'y voit rien.
Une douleur m'indique que la pierre n'a pas trop apprécié ma remarque.
– Mais oui, tu n'es pas contente, bon maintenant tu peux faire quelque chose pour la lumière ?
Une torche se matérialise alors dans ma main, et la pièce apparait plus distinctement. Plusieurs livres essayent tant bien que mal de remplir les étagères tout autour, et au centre, sur une dalle en pierre, se trouve un grand grimoire ouvert. J'approche de ce dernier, et me penche pour lire, tout en prenant soin de garder la flamme de ma torche suffisamment éloignée pour ne pas risquer de brûler le papier.
Au début des années 1367, le Roi Kernor...
Je n'ai pas le temps de lire la suite car les pages se mettent à défiler toutes seules pour s'arrêter devant deux nouvelles pages.
Dans les gorges de Sénalune, la malédiction naîtra. Le mal prendra place pour régner sur le Royaume, et humains et bêtes perdront la raison pour n'être plus que haine. Une haine qui leur offrira une force surnaturelle, une puissance telle que le corps ne saura la supporter, et se consumera, lambeau par lambeau, pour ne laisser qu'un tas de chair informe. En un pauvre garçon, le peuple aveugle verra l'ennemi, le prenant à tort pour la source. Or, le mal ne peut être guéri que là où il est naît.
Prémonition de la sorcière Seün, 1463.
Note (an 1647) : Cette étrange prémonition est à l'origine de nombreuses légendes modernes. En revanche, jusqu'à présent, aucun événement n'a pu laisser supposer qu'une telle fin risquerait de se produire.
– Et toujours pas en 1824, je commente à voix haute.
La prémonition remplit la page de gauche, alors que la page de droite accueille une grande illustration où l'on voit un homme décrépit qui rampe au sol, animé d'une rage violente représentée par son regard rouge sang. Je veux tourner la page pour lire la suite, mais le grimoire se referme brusquement. Je tente de le rouvrir, mais il demeure hermétiquement fermé.
Ma gemme se remet à étinceler, et à nouveau un oiseau en sort. Il me mène encore plus loin, par une porte ouverte de l'autre côté de la pièce. Je m'élance à sa poursuite, évoluant dans un dédale de couloirs dont je n'aurais même pas soupçonné l'existence malgré la conscience que j'ai de l'énorme réseau souterrain du château.
Prise dans ma course, je me rends compte au détour d'un couloir qu'une silhouette fonce droit sur moi, et je n'ai pas le temps de m'arrêter. Mon corps s'écrase contre une vitre. La silhouette que j'avais aperçue n'était autre que mon reflet. Encore hébétée, je me relève, m'appuyant des deux mains sur la vitre, un peu éblouie par l'éclat de ma gemme dans le reflet. Il me faut un instant pour me rendre compte qu'il ne s'agit pas d'un reflet. Une autre gemme, similaire à la mienne, brille de l'autre côté. Deux mains, plus petites, se sont posées sur les miennes, seulement séparées par la vitre. Je relève les yeux pour découvrir le visage d'un petit garçon. Je peux reconnaître sur son visage les traits délicats de ma mère. Ceux-là même dont j'ai hérité. Ses yeux sombres en revanche sont ceux de mon père, tout comme ses cheveux de jais. Son expression est un doux mélange entre curiosité, surprise et innocence. Je le sens comme une évidence. J'ai là, sous mes yeux, mon petit frère. Un petit frère dont on m'avait depuis toujours caché l'existence.
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Damnation
FantasyLe monde se meurt. Humains et bêtes, maudits, sombrent dans la haine et le peuple se révolte. Princesse du royaume, du haut de mes 15 ans, je pars à l'aventure pour faire face à une malédiction qui me dépasse et un peuple qui aurait dû être mien. To...