Chapitre 13

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On commence à manquer de nourriture. C'est si frustrant d'être dans un environnement qui regorge de choses comestibles sans être capable de les reconnaître ! C'est bien la peine d'avoir passé autant d'années assise sur une chaise à apprendre plein de choses. Comment savoir si ces jolies baies ne sont pas en vérité le pire des poisons ou si ces champignons peu ragoûtant ne sont pas finalement délicieux ? Pas le choix, on est contraints d'avancer dans la faim. Au moins on a de l'eau. Pour ma part je supporte, mais Sam commence à se plaindre. Normal, il a faim, il est fatigué, et il a mal aux pieds à force de marcher. Encore plus depuis qu'on avance en dehors des routes, à la sauvage.

Mais, je le sens, la civilisation arrive. La forêt est différente là où l'humain l'arpente, et l'atmosphère a changé. Me voilà en train de devenir une professionnelle de la forêt. Maintenant, il faut prier pour que là où nous allons nous soyons bien accueillis. Pas certaine que j'aurais la force de combattre si on s'en prend à nous. Ni de voler si on nous refuse de la nourriture.

La vue troublée par la fatigue et la faim, on aperçoit enfin une habitation à travers les arbres. Une ferme. Les animaux se baladent librement sur un grand terrain qui vient encadrer deux bâtiments, une large grange en bois et une habitation en pierre gris clair. La maison est vieille et tordue, rafistolée comme on peut, pourtant j'ai l'impression de voir là le plus merveilleux des lieux. Enfin de la vie. Et peut-être de la nourriture ?

– On toque ? demande Sam.

– Je pense qu'on ne craint pas grand chose, ils sont isolés donc n'ont probablement pas encore eu vent de ce qu'il s'est passé à Solstieg.

Des fleurs aux couleurs vives décorent les fenêtres pour une ambiance plus chaleureuse, et nous passons à côté d'un pot de fleurs attaché par une chaîne au plafond pour atteindre la porte et son heurtoir en fer forgé. Je frappe et l'agitation se fait instantanée, mais pas dans la maison.

– J'arrive ! crie quelqu'un dehors.

Un fermier dans la force de l'âge apparaît peu après. Il pose sa fourche, les muscles encore congestionnés par l'effort.

– Eh bien ! Ça ne va pas fort vous.

Difficile de le contredire. On est trempés et couverts de boue de la tête aux pieds. Sans compter les égratignures un peu partout et les traces de sang séché.

– Qu'est-ce qui vous amène ici ?

D'où l'intérêt parfois de préparer à l'avance son texte. Heureusement, je suis douée en improvisation. On m'a suffisamment appris à jouer avec la vérité et l'adapter à mon interlocuteur. Il faut bien que certains de mes enseignements stupides me soient utiles.

– Mon frère et moi sommes perdus. Sans rien à manger... Peut-être que vous pourriez nous aider ?

Et maintenant je remercie les cours de comédie. Le rôle de petite fille malheureuse et geignarde est clairement de composition.

– Avec plaisir ! Mais comment avez-vous fait pour vous perdre comme ça ? Tout seuls ? C'est peu prudent par les temps qui courent.

– Les temps qui courent ?

– Les gens deviennent fous. Il y a eu des agressions au village.

– Il y a un village pas loin ? je demande en tâchant de transformer mon inquiétude en un espoir feint.

– Pour sûr. Une demi matinée de marche vers le nord et vous y êtes.

Ça va. J'ai tendance à oublier qu'en campagne une demi matinée représente peu. Par contre, il a indiqué le nord, et c'est exactement la direction dans laquelle on allait. On a bifurqué dans la panique. Heureusement, on ne s'est pas éloignés de la destination, mais on ne s'est pas rapprochés non plus. Une bonne portion de route inutile. Tout ce qu'on aime.

DamnationOù les histoires vivent. Découvrez maintenant