Un pont fragile

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Agatha ouvrit les yeux avec difficulté : La lumière du jour filtrait à travers les rideaux et un silence pesant régnait dans la pièce.

La douleur sourde dans tout son corps la ramena brutalement à la réalité. Le souvenir de la veille l'écrasa d'un seul coup, et son cœur se serra en pensant à ce qui l'attendait en bas.

Rio n'était plus là, mais Agatha savait qu'elle avait veillé sur elle toute la nuit. Une lueur de chaleur réconfortante persista dans son esprit, malgré le froid qui s'installait autour de son cœur. 

La présence de Rio lui avait donné un peu de force, assez pour faire face à Évanora.

Elle entendit des bruits familiers venant du rez-de-chaussée : Évanora s'affairait, comme si rien ne s'était passé, comme si tout était redevenu normal. Mais rien ne serait plus jamais normal.

Agatha ferma les yeux un instant, prenant une profonde inspiration. Elle ne pouvait plus fuir. Il lui fallait parler avec sa mère. Et cette fois, elle ne porterait plus de masque, elle nierait plus son intérêt pour la magie.

Elle passa lentement ses jambes hors du lit et prit quelques secondes pour se stabiliser avant de se lever. Elle se rendit à la salle de bain pour se rafraîchir.

Après un moment d'hésitation, elle descendit les escaliers, se préparant mentalement à affronter sa mère. Elle descendit les marches une à une, sentant chaque fibre de son corps encore meurtrie par les coups.

Evanora était dans la cuisine, occupée à ranger des plantes médicinales.

Agatha se racla la gorge en arrivant au pied des escaliers, et sa mère se retourna, surprise de la voir debout si tôt.

« Maman, je... Il faut qu'on parle » dit-elle d'une voix cassée mais déterminée.

Elle leva les yeux vers sa fille lorsqu'elle l'entendit parler, son regard perçant mais fatigué se posant sur elle. Agatha sentit sa gorge se serrer, mais elle ne détourna pas les yeux. Elle s'avança et s'arrêta devant sa mère, rassemblant le peu de courage qu'il lui restait.

Évanora resta silencieuse, son regard fixe et fermé, mais elle posa ce qu'elle avait dans les mains, prête à écouter sa fille. Agatha s'avança et s'assit à la table, fixant un point vide devant elle avant de prendre une grande inspiration.

« Je suis désolée » commença-t-elle. « Je suis désolée de ne pas avoir été la fille que tu voulais. Je sais que j'ai fait des choix qui t'ont déçue, mais je n'ai jamais voulu te faire de mal. »

Les mots coulaient, difficiles, et son cœur battait à tout rompre. Évanora la fixa intensément, un éclat indéfinissable dans ses yeux. Agatha n'attendait rien, elle voulait simplement dire ce qu'elle avait sur le cœur.

« J'ai toujours voulu plus » avoua-t-elle, la voix emplie d'une émotion qu'elle ne cherchait plus à contrôler. « J'ai toujours ressenti ce besoin... ce besoin de comprendre la magie, de la maîtriser. Mais je sais que ce n'est pas ce que tu voulais pour moi. Je le sais. »

Un silence tendu s'installa, et Agatha se força à continuer, les mots sortant avec difficulté, comme si chaque confession la vidait de son énergie. « Je sais que tu as peur de ce que je pourrais devenir, et je comprends que tu veuilles me protéger. Mais je ne veux pas passer ma vie à me cacher, à prétendre être quelqu'un que je ne suis pas. »

Les yeux d'Évanora se remplirent de larmes qu'elle tenta d'abord de contenir, mais quelques-unes roulèrent silencieusement sur ses joues. « Tu crois que je ne comprends pas ? » murmura-t-elle d'une voix rauque. Ses mains tremblaient légèrement lorsqu'elle les posa à plat sur la table. « Agatha... quand j'avais ton âge, j'étais comme toi. Moi aussi, j'étais fascinée par le pouvoir, par l'idée d'en avoir toujours plus. J'ai... fait des erreurs. De graves erreurs que je ne pourrais jamais réparer, et je ne veux pas que tu suives le même chemin. »

La confession de sa mère surprit Agatha, qui releva la tête. Pour la première fois, elle voyait Évanora vulnérable, un éclat de regret passant dans ses yeux. « Les coups... Je sais que c'était cruel. Mais je voulais que tu comprennes à quel point ce chemin est dangereux. Je pensais que c'était la seule façon... » Sa voix se brisa, et elle dut détourner le regard pour reprendre son souffle. « Je ne préviendrai pas les autres sorcières du sabbat, pas pour l'instant. Mais je te préviens, Agatha... je ne tolérerai plus aucun écart. »

Agatha sentit un mélange de soulagement et de désespoir. Pour l'instant, elle était sauvée, mais elle devrait encore une fois étouffer cette partie d'elle-même qui aspirait à quelque chose de plus grand, de plus dangereux. Elle hocha la tête, les larmes aux yeux, et murmura un faible « merci » avant de quitter la table, le cœur lourd.

Elle se réfugia dans sa chambre, se laissant tomber sur son lit, épuisée. Elle savait qu'elle devait se montrer prudente, que sa mère veillait désormais sur chacun de ses gestes. Pour l'instant, elle laissait le Darkhold dans un coin de son esprit, comme une ombre persistante, un souvenir impossible à oublier.

Elle pensa à Rio, à ses bras réconfortants et à ses lèvres rassurantes. Plus que jamais, elle avait besoin d'elle pour surmonter tout ça, pour retrouver un semblant de paix au milieu de ce chaos intérieur. Le chemin serait long, mais elle n'était plus seule.

Agatha ferma les yeux, essayant de calmer les battements frénétiques de son cœur, et murmura pour elle-même : « Je trouverai un moyen d'être moi.. un jour. »

Désirs SorciersOù les histoires vivent. Découvrez maintenant