Les fragments de l'ombre

Chapitre 26 : Les 3 petites souris

Le feu dans la cheminée projetait des ombres dansantes sur les murs de la vieille maison où Willow et Alaric s'étaient installés pour la nuit. L'atmosphère était lourde, empreinte des révélations du jour précédent. Willow, assise en tailleur sur le tapis usé, tenait son grimoire ouvert sur ses genoux, ses doigts effleurant machinalement les symboles qu'elle avait dessinés. Alaric, de son côté, griffonnait sur un parchemin, traçant des cartes et des lignes pour reconstituer ce qu'il appelait les anciens chemins.

Raven, son chat, était recroquevillé à ses pieds, ses oreilles remuant par intermittence comme s'il captait quelque chose que Willow ne pouvait entendre. Fenrir, quant à lui, se tenait près de la porte, les muscles tendus, prêt à bondir au moindre bruit suspect. Une tension sourde imprégnait la pièce.

Willow referma son grimoire d'un geste brusque et soupira.
— Tout cela commence à me dépasser, murmura-t-elle. Nous avons avancé, oui, mais ce puzzle semble s'agrandir chaque fois que je pense être sur le point de le résoudre.

Alaric leva les yeux de son parchemin, son visage grave illuminé par les flammes.
— C'est toujours ainsi, répondit-il doucement. La vérité n'est jamais facile à déterrer, surtout quand elle a été enterrée par ceux qui souhaitent la garder enfouie.

— Tu devrais te reposer, murmura Alaric depuis son fauteuil, un parchemin à la main. Tu ne peux pas résoudre ce puzzle en une nuit.

— Et si je le dois ? répliqua Willow, le regard brûlant de détermination. Chaque minute que je perds, eux avancent.

Elle ferma brusquement le grimoire, un frisson parcourant son échine. Quelque chose, dans l'atmosphère, semblait avoir changé.

— Tu ressens ça ? demanda-t-elle à Alaric.

Il hocha la tête, ses traits se durcissant.
— Quelqu'un est là.

Le silence qui suivit fut assourdissant. Fenrir émit un grondement sourd, ses crocs brillants dans la lumière vacillante du feu. Raven ouvrit les yeux d'un coup, bondissant sur le rebord de la fenêtre, ses pupilles dilatées.

Willow tendit l'oreille. Un bruit discret, à peine un murmure, se fit entendre au bout du couloir. Une porte grinça doucement, puis plus rien.

— Alaric, les protections magiques... Elles ont été brisées, chuchota-t-elle en se levant précipitamment.

— C'est impossible, répondit-il, mais son regard trahissait une inquiétude croissante.

Ils s'avancèrent prudemment, Willow tenant son poignard, et Alaric, une orbe lumineuse flottant au creux de sa main. Mais quand ils atteignirent le salon, un détail glaçant les attendait : le grimoire avait disparu.

Un rire enfantin retentit, venant de nulle part et de partout à la fois. Puis un autre, suivi d'un troisième. Le rire semblait résonner dans les murs, léger mais chargé d'une malice sinistre.

— Qui est là ? cria Willow, sa voix trahissant une colère mêlée de panique.

— Nous sommes là, répondit une voix féminine, douce et glaciale à la fois.

Willow tourna brusquement la tête et les vit. Trois jeunes filles identiques, debout dans l'ombre à l'entrée du salon. Elles portaient des robes blanches d'un autre temps, et leurs cheveux blonds cendrés, raides et lisses, retombaient sur leurs épaules. Leurs visages étaient presque irréels, parfaits et vides d'expression, à l'exception de leurs yeux brillants d'une lueur inquiétante.

Elles avancèrent d'un pas synchronisé, comme si elles étaient une seule entité.

— Vous nous cherchez ? murmura l'une d'elles, un sourire tordu se dessinant sur ses lèvres.

— Rendez-moi le grimoire, ordonna Willow, en se plaçant devant Alaric.

— Ce n'est pas le vôtre, répondit la deuxième, inclinant légèrement la tête comme une poupée.

— C'est à nous, reprit la troisième, tendant une main fine vers Willow.

Willow sentit un froid surnaturel l'envahir, comme si les paroles des triplées suivaient une logique qui échappait à la réalité.

— Vous faites partie du Cercle des Ombres ? demanda-t-elle, bien qu'elle connaissait déjà la réponse.

— Nous sommes ce que vous ne pouvez pas comprendre, dit la première en avançant.

— Ce que vous ne pourrez jamais arrêter, ajouta la deuxième en souriant.

— Ce que vous craignez déjà, termina la troisième, leurs voix s'entremêlant dans une harmonie troublante.

Alaric lança un sort pour tenter de les repousser, mais elles éclatèrent de rire à l'unisson. Une onde de choc renvoya l'attaque vers lui, le projetant violemment contre le mur.

— Alaric ! cria Willow, courant vers lui.

Mais avant qu'elle ne puisse l'aider, les triplées étaient sur elle. Elles ne bougèrent pas physiquement, mais leur présence semblait l'envelopper, un brouillard oppressant s'infiltrant dans son esprit.

— Nous prenons ce qui nous appartient, susurrèrent-elles en chœur.

Willow sentit une chaleur familière quitter son corps, une douleur sourde lui vrillant le poignet. Elle baissa les yeux et vit la marque de la croix scintiller un instant avant de disparaître.

— Non... murmura-t-elle, abasourdie.

Elles avaient brisé le lien qu'elle avait avec les fragments.

— Tu as perdu, déclara l'une des triplées.

— Tu ne peux pas nous battre, continua une autre.

— Mais nous t'attendons au château, termina la dernière, leurs voix se superposant avec une perfection inquiétante.

Et, comme elles étaient apparues, elles disparurent, laissant derrière elles un froid glacial et un silence assourdissant.

Willow, à genoux, le souffle court, tenta de reprendre ses esprits. Alaric se redressa avec difficulté, ses yeux sombres empreints de douleur et de culpabilité.

— Elles ont pris la connexion, dit-elle d'une voix brisée.

— Mais pas ta volonté, répondit Alaric en posant une main sur son épaule.

De retour dans la pièce principale, Willow trouva un petit indice laissé sur la table. Une carte ancienne, marquée d'un symbole qu'elle avait déjà vu dans le grimoire : une rose des vents gravée sur le haut d'un château.

Alaric l'observa avec attention.
— Elles veulent que tu viennes.

— Alors je viendrai, dit Willow.

Elle était résignée et voulait pleurer, d'épuisement, d'énervement autant que de peur.