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Dissimulés derrière un pilier du hall, Norbert, Leta et Eniris attendaient patiemment que Greybel et Reels daignent sortir. Cela faisait au moins un quart d'heure qu'elles ne bougeaient pas et se contentaient de chuchoter avec agitation.

- Si on attend encore une minute de plus, je m'en fiche, je les laisse se débrouiller, râla Eniris.

- Chut, la rabroua Norbert. Elles vont nous entendre.

- Avec le vacarme que fait la pluie, ça m'étonnerait, remarqua Leta.

Ce n'était pas totalement faux. Plutôt que de se calmer, l'averse au-dehors semblait avoir redoublé d'intensité, si bien qu'il était difficile d'entendre quoi que ce soit d'autre. Tout compte fait, si les deux Gryffondor décidaient de ne jamais sortir, il leur en serait reconnaissant.

Comme pour lui donner tort, Greybel et Reels s'approchèrent de Mme Rusard, la concierge, chargée de vérifier les autorisations parentales permettant de se rendre à Pré-au-lard. Celle-ci les regarda avec étonnement ; aucun élève n'était encore sorti en raison de la météo catastrophique.

Les trois amis leur laissèrent une minute d'avance avant de sortir à leur tour, non sans avoir fait chacun apparaître un parapluie au bout de leurs baguettes.

Il pleuvait des trombes d'eau, et sa maigre protection n'empêcha pas Norbert de finir trempé au bout de quelques instants. La visibilité était si mauvaise qu'ils eurent du mal à repérer les Gryffondor qui marchaient d'un bon pas à une centaine de mètres d'eux. Tout en veillant à rester à distance respectable, ils les suivirent jusqu'au village, où elles bifurquèrent pour arriver sur un sentier sinueux qui s'élevait vers la montagne.

- Elles ont intérêt à se dépêcher, cria presque Leta pour se faire entendre. Je ne vais pas tenir des heures sous cette pluie !

- Moi non plus, renchérit Eniris. J'ai plus d'eau dans mes chaussures qu'il n'y en a dans le lac !

Norbert n'osa rien dire. C'était de sa faute s'ils étaient là tous les trois ; c'était lui qui avait voulu suivre les deux pestes.

Les secondes s'étirèrent en minutes, qui s'étirèrent en une heure. Leta et Eniris avaient eu le temps de se disputer plusieurs fois, et discutaient à présent comme si elles étaient des amies d'enfance. Les silhouettes de Greybel et de Reels apparaissaient et disparaissaient selon l'altitude à laquelle elles se trouvaient par rapport à la leur. Toujours aucun grapcorne en vue, et si la pluie s'était légèrement calmée, la marche n'en était pas moins pénible. Le Poufsouffle commençait sérieusement à envisager un retour au château quand ils arrivèrent à une intersection ; leur sentier se scindait en deux parties, de part et d'autre de la montagne, l'une montante et l'autre descendante.

- Euh... est-ce que quelqu'un a vu où elles sont allées ? demanda Leta.

- Ce serait plus logique de monter, non ? hasarda Eniris.

- Sauf qu'elles n'en ont pas, de logique, renchérit Leta.

Toutes deux échangèrent un regard avant d'éclater de rire. Norbert esquissa un sourire. Avec leur personnalité, il était sûr qu'elles allaient finir par bien s'entendre.

- On n'a qu'à se séparer, suggéra Leta.

- Mauvaise idée, rétorqua Norbert au moment même où Eniris s'écriait "Très bonne idée !".

- Oh, allez, Norbert, le pressa Eniris. On n'a pas de temps à perdre, et on n'a quand même pas fait tout ce chemin pour les laisser filer. Je pars vers le haut, vous vers le bas, et on siffle si l'un de nous arrive à les repérer.

- Elles vont nous entendre ! protesta Norbert.

- Tu as ton carnet sur toi ? lui demanda Leta.

- Non, avec la pluie, je ne me suis pas risqué à le prendre.

La Serpentard réfléchit quelques instants en se mordillant la langue.

- Peut-être que si j'arrache juste une page de mon carnet et que je l'ensorcelle, je peux la donner à Eniris et on pourra communiquer avec, fini-t-elle par proposer.

- Je n'ai pas de plume sur moi, et ça m'étonnerait que tu en aies deux, rétorqua la blonde.

- En fait, si. Elle est un peu cassée, mais ça fera l'affaire. J'en ai toujours plusieurs sur moi, étant donné mon manque de soin et d'organisation. Norbert, tu veux bien m'abriter ?

Le Poufsouffle s'approcha d'elle, de manière à ce que sa baguette-parapluie les protège tous les deux. Il échangèrent un regard. Mise à part leur étreinte de ce matin, cela faisait longtemps qu'ils n'avaient pas été aussi proches.

La Serpentard s'empressa de sortir son carnet et d'en arracher une page avant de marmonner une flopée de paroles inintelligibles, sa baguette pointée sur le morceau de papier.

- Ce n'est pas pour te mettre la pression, mais elles doivent déjà être loin, lança Eniris d'une voix inquiète.

Leta ne répondit pas, la mine concentrée. Une minute passa encore, avant qu'elle ne dise enfin, d'une voix légèrement hésitante :

- Je crois que c'est bon.

- Pas le temps d'essayer, je te fais confiance, la pressa Eniris. Allez, à tout de suite !

Elle prit le morceau de papier ainsi que la plume que lui tendait Leta, et s'élança vers le chemin ascendant, non sans avoir adressé un clin d'œil entendu à Norbert. Les paroles qu'elle lui avait adressées un mois plus tôt lui revinrent alors en mémoire.

Ne t'inquiètes pas, je ferai en sorte que vous vous retrouviez un peu seuls. J'ai l'impression que vous ne vous êtes pas encore tout dit, tous les deux.

Le cœur battant soudain à tout rompre, il jeta un coup d'œil à Leta. Sauf que celle-ci le regardait aussi.

- On... on ferait bien d'avancer, déclara-t-il.

Ils se mirent en marche en silence, prenant la direction du sentier descendant.
Ce fut Leta qui brisa le silence la première.

- Est-ce qu'il y a... quelque chose entre toi et Eniris ? demanda-t-elle.

Norbert, qui s'attendait à tout sauf à cette question, manqua de faire tomber sa baguette-parapluie, qu'il tenait toujours entre eux.

- Non, enfin oui, juste de l'amitié, balbutia-t-il.

- Le même genre de "juste amitié" dont tu as parlé à Gapel ?

Il leva les yeux vers elle. Elle n'avait pas l'air en colère ; elle arborait un petit sourire triste.

- Non, affirma-t-il. Eniris est mon amie, et je tiens beaucoup à elle. Mais... mais toi...

Leta s'arrêta, l'obligeant à en faire de même. Visiblement, elle attendait qu'il poursuive, mais toutes les suites possibles de cette phrase lui paraissaient impossibles à prononcer.

Impuissant, il sentit le silence s'installer, seulement troublé par le clapotis de la pluie sur le parapluie. Elle s'était légèrement calmée, à présent.

- Mais toi, continua-t-il d'une voix tremblante, je ne veux plus que tu sois juste mon amie.

Et voilà. Il l'avait dit. Étrangement, il se sentait comme libéré d'un poids. Et à présent qu'il était lancé, autant continuer.

- Tu as été une merveilleuse amie. J'ai passé les deux meilleures années de ma vie avec toi. Et je veux continuer à les vivre à tes côtés, mais... différemment.

Il était incapable d'en dire plus. Pourquoi les mots "Voudrais-tu sortir avec moi ?" étaient-ils si difficiles à prononcer ?

Leta lui offrit un sourire, un de ses beaux sourires dont elle avait le secret.

- Et qu'est-ce que ça veut dire, "différemment" ? demanda-t-elle innocemment.

Le Poufsouffle émit un petit rire nerveux. Même dans un moment pareil, elle ne pouvait s'empêcher de le taquiner. Peut-être que c'était pour ça qu'il l'aimait.

Et peut-être que c'était pour ça qu'il eut le courage de faire un pas vers elle, réduisant considérablement l'espace entre eux. Ils étaient si proches qu'il sentait son souffle tremblant se mêler au sien.

Ce fut elle qui prit les devants. Peut-être avait-elle deviné qu'il serait incapable d'en faire plus. Toujours est-il qu'il lui en fut infiniment reconnaissant quand, enfin, elle posa ses lèvres sur les siennes.

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Loin de tous (Les Animaux Fantastiques)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant