Elle s'appelait Ava. Elle était dans ma classe l'année dernière, une indienne qui portait ses vêtements traditionnels à chaque début et fin de cours et qui ne parlait jamais.
Aujourd'hui ce fut la première fois que je la voyais prendre le bus, elle ne le prenait pas habituellement. Il y avait toujours cette longue décapotable qui l'attendait devant le portail du bahut, où elle se pressait de s'y installer pour échapper à la cohue de 17 heures.
C'était le genre de fille remplie de fric, qui ne parlait que si les profs l'interrogeaient en classe. Elle était discrète, froide et ne souriait jamais. Elle ne mangeait pas à la cantine, comme moi, mais elle, ne restait pas devant l'établissement assis sur le banc d'en face à grignoter son sandwich, acheté à la boulangerie, dix minutes avant la reprise des cours.
Elle était habillée comme à l'accoutumé aujourd'hui, son sari, rempli de motifs et de nombreuses couleurs. Ava avait l'air mal à l'aise à l'intérieur. Je l'avais toujours imaginée les pieds sur Terre, les yeux toujours baissés en poussant des soupirs discrets à longueur de journée. Je la trouvais banale.
Mais ce matin, dans ce bus où se mêlaient les odeurs de tous les parfums appliqués à la peau des lycéens, je la vis sous un autre angle. Elle était ailleurs, les yeux perdus dans la marée humaine qui remplissait le bus. Elle avait l'air songeuse.
Je l'imaginai alors enfant, remplie de devoirs à faire le soir, la danse indienne et la cuisine qu'elle devait déjà commencer à apprendre. Le front plissé par le travail, le fil qui ne passait pas dans l'aiguille quand elle voulait coudre. Les yeux ravagés d'impatience quand la pelote de laine roulait sur le sol. Elle devait la rattraper. C'était insensé.
Je m'étais remis à imaginer. Mais je n'aimais pas le faire car je me trompais souvent sur toute la ligne. Qui disait qu'Ava cousait chaque soir en rentrant d'école ? Je n'avais aucune preuve mais à chaque fois que je croisais son regard, j'avais cette impression d'étouffement. Alors je crus voir Ava respecter le choix de son père lui interdisant tout mot avec un être masculin, tout contact avec une fille plus riche qu'elle. Et je ressentis cette peur dans ses yeux mitigés, l'iris et la pupille parcourant rapidement chaque angle de vue lorsqu'un élève lui demandait de se pousser légèrement pour le laisser passer.
Je vis ses pupilles se dilater quand on lui marchait sur le pied dans le véhicule. Je trouvai cela injuste de la voir si ignorante, si coupée du monde extérieur. Je laissai mes yeux filer vers la vitre de derrière et remarquai que des nuages gris présageaient de fortes pluies.
J'observai une dernière fois Ava. Elle avait fermé ses yeux. Mon doigt parcourut le rebord de la fenêtre en trouvant une place libre. Je la vis se précipiter vers elle tel un chien enragé. Tout le monde savait ici comme être assis ou pas ne changeait rien. Elle semblait fière d'elle. Je la vis intérieurement passer le fil dans l'aiguille et sourire longuement.
Le reste du trajet se passa dans un silence pesant, les autres adolescents regardant tous leurs portables avec leurs écouteurs dans les oreilles. Je commençai alors à rouler une clope avec le reste du tabac que j'avais. Terminé, j'attendis que le bus s'arrête à une station pas trop loin de mon lycée. Je sortis en saluant le conducteur, allumai la clope et me mis à marcher.
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Trente minutes
Teen FictionQuand un trajet de trente minutes s'avère être l'équivalent de toute une vie. © larmesmauves - 2015