quarante ✵ haut-parleur

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« Chaque moment est précieux, chaque instant précis devrait être amplement vécu. »

Passer les derniers jours de l'année avec une fièvre, c'était fait. Cela faisait deux jours que j'étais cloué au lit, les vertiges grandissant dans mon esprit. Je me sentais mal et la citation que venait de me lire Théodore pour sa philo me foutait les tripes en rogne. Comment vivre chaque instant quand l'instant est clairement pourri ?

On rentrait dans trois jours et je n'avais pas pu profiter des différentes pistes. Abominable. Mon matelas trop mou me ramollissait le corps et des courbatures partout sur moi me pétrifiaient davantage. L'horreur.

-       Allô chaton ? Ouais ouais tout se passe super bien ici, de très bonnes pistes. Ah ouais ? T'as réussi à avoir cette note ? T'es sûre de ne pas avoir triché ? Je commence à te connaître et les 17 ce n'est pas tous les jours. Eh ! Mais ne boude pas... Félicitations en tout cas ! Sinon comment ça va de ton côté ? Marylin est redevenue chiante, ah mince... Elle a pas ses ragnagnas j'espère ? Attends du sexe par phone ? Pourquoi pas... Alors tu vois là je m'allonge sur mon matelas. Aris me regarde, putain laisse tomber avec son regard de la mort qui tue je sens que je vais bien m'amuser. Alors ma main est en train de glisser dans...

L'appel d'Isabelle avait redonné le sourire à Théodore et je soupirai en le voyant faire une scène torride à distance. Je râlai et il rit. Ce mec était con. Le nom de Marylin me semblait maintenant vague et lointain.

-       Je te jure que si tu te tripotes avec pleins de détails, je te tue. Menaçai-je en peinant à me relever alors que mon front me brûlait encore à vif.

Il mit son portable sur haut-parleur, le posant sur sa table de chevet avant de glisser sa main dans son frauque. Je fermai les yeux avant d'entendre les petits gémissements à l'autre bout du fil.

-       Enlève ce haut-parleur. Ordonnai-je.

Monsieur je-me-tripote-sans-gêne me lança un sourire malicieux avant d'augmenter le son.

J'ingurgitai un doliprane et lançai avec le peu de force qui me restait, mon oreiller dans son joli minois. La cible manquée, l'oreiller atterrit sur le sol, gisant silencieusement et en décuplant ma déception.

-       Manqué. Finit-il en me tirant la langue.

Je grognai. Ma tête tomba vivement sur le matelas et le vide me marqua. Le moelleux de l'objet me manquait. Je le repris avec beaucoup de mal, tombant presque.

La sueur perlait déjà sur mon front, les médocs faisaient un peu effet. Un concerto de « sexe au tel » se fit entendre et j'attendis patiemment que tout cela s'arrête. Je voulais dormir, mais tous deux faisaient trop de bruits. Insupportable.

La porte s'ouvrit soudainement. Mes paupières lourdes me criaient de se baisser mais je résistai.

-       Oh merde ! Tu ne peux pas faire ça ailleurs ? Aris essaye de dormir gros porc ! Gronda la voix consternée de Chrystal.

Il me fit un léger clin d'œil avant de lui sourire amusé.

-       Je suis sûr que ton mec rêve qu'un jour vous tentiez cette expérience. N'est-ce pas Aris ? Te tripoter en entendant des choses peu catholiques à l'autre bout du fil. Avec la jolie voix de Chrychry...

Puis il partit. Mon envie de lui exploser la gueule restait en travers de ma gorge. Chrystal était toute rouge.

Elle tenait dans ses mains une petite serviette. Cramoisie, elle posa la matière froide sur mon front avant de me sourire gênée.

-       Théodore n'est vraiment pas croyable ! Lâcha-t-elle en levant les yeux au ciel.

Je souris. Dormir devenait assez attrayant et elle embrassa ma joue. Ses lèvres froides frôlaient délicatement ma peau brûlante.

Vingt minutes plus tard, allongé sur le côté, le dors tourné, je sentais encore ses doigts me caresser le dos. Ce contact me déconcentrait et le sommeil ne me gagnait point.

Pourtant elle avait l'air de croire à l'idée que je roupillais tranquillement. Elle me faisait des confidences avec sa voix tremblante et ses bredouillements maladroits :

-       En fait... Ouf que tu dors parce que je n'arriverai sûrement pas à te dire ça en face. Tu vois... Ces derniers temps ça va un peu mieux. Depuis l'épisode de Noël en fait. Tes mots ont réussi à me rendre dingue, je me répète chaque soir avant de dormir « Tu es mon âme sœur » comme si c'était le plus beau refrain au monde. C'est super chiant. Parce que je n'arrive pas à me lasser de le murmurer. Sinon... je n'ose pas te le demander mais c'est une bonne idée de te le dire maintenant alors que tu dors. Ça va m'entraîner j'crois. Bah voilà, j'aimerai que tu dormes là contre moi chaque soir. Je veux que ton bras me serre comme la première fois. En fait non. Je préfère me caler là au creux de ton cou avant de jouer avec ton dos chaud. Attends... Mauvais script, mince comment faire ? Bon laisse tomber, continue de dormir Aris... Je reviens dans quoi...? Une heure, ouais soixante minutes.

Avant de partir et de me laisser seul, elle murmura avec émotion :

-       Promis Aris, un jour je te dirai tout. Même Oscar.

Trente minutesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant