Il y avait exactement la même atmosphère que d'habitude. Je venais de décrocher mon permis, après des longs mois de concentration et des manipulations entières à réaliser. Je ne poserais plus voire rarement mon pied dans le bus et au fond de moi, ça me soulageait. Le véhicule m'étouffait, les gens ne changeaient pas et moi, je voyais les choses autrement.
De mon sac, je sortis le tabac du sachet, les filtres dans l'autre main, je décidai de rouler une dernière clope ici. J'exagérais, cette clope ne serait sûrement pas la dernière de ce bus mais il y avait des fortes chances que l'envie de fumer s'atténue avec le temps.
Pour une fois, je m'assis, goûtant à la nouvelle impression que cela produisait. Je regardai par la vitre en finissant de rouler ma clope et la laissant entre mes deux lèvres.
La vitre était tachée de petites gouttes sales et je me voyais dans mon reflet. Je regardai mes cheveux qui redevenaient plus blond avec l'arrivée de l'été, mes cernes moins creusés et mes yeux luisants.
Puis une autre image intervint. Le même visage avec des traits plus sévères, moins confortables, des sourcils froncés et des cernes violets traînant sur le passage. J'avais mauvaise mine.
Tout s'enchaîna. Il y eut d'abord la fois où le petit blond posa pour la première fois le pied dans un bus. Il devait avoir à peine 4 ans et il s'asseyait tranquillement sur les cuisses de sa mère, Duke tapait avec la paume de sa main la vitre, fou d'excitation. Puis la fois, où le même gars fit pour la première fois le trajet seul, il était assez content, à 15 ans on lui laissait ainsi la possibilité d'acquérir un peu d'autonomie. Le trajet avait été horriblement long et à de nombreuses reprises il avait hésité à sortir son portable, gribouiller un message incompréhensible à des « copains » du lycée. Il fumait déjà beaucoup à cette époque, balançant l'argent de poche dans des paquets de clopes interminables avant de se tourner quelques temps vers la cigarette électronique. C'était une époque assez simple et bienveillante.
À 16 ans, il n'était plus le même. Premières soirées, premiers grands vides. Il roucoulait sous l'alcool coulant à flot dans sa gorge, tombant dans des comas presque tous les mois. Premiers baisers langoureux empestés de bière, distance avec ses vieux, il n'osa pas toucher les joints que le monde lui offrait, c'était peut-être trop pour ce junkie.
Un an plus tard, je voyais dans la vitre un grand gars complètement lessivé, les jambes tremblantes à l'idée de retomber dans un coma mortel, frôlant la crise cardiaque en voyant des joints. Première fois. Quelque chose de vague, rien d'exaltant. Le mal se creusait, le trou béant de sa joie se vidait tranquillement. Mal-être, contrôle décalé de sa personne avec des clopes qui duraient plus longtemps. Le sentiment de ne plus exister en réalité. Misanthropie, fin de ses dernières années fêtardes. La routine agréable, le bus étouffant et le conducteur sympathique. Yeux vides, crevant l'harmonie de surface. Vide absolu.
Est-ce qu'il y avait d'autres choses à raconter ? Pleins. Ses 18 ans, premier boulot, meilleurs amis, album, première petite-amie et âme sœur. À quoi bon ressasser sa vie dans une vitre à travers des yeux si moi l'être en question, pouvait maintenant la vivre en un peu mieux.
Je sortis à ma station, tirai une taffe en soupirant, crachai la fumée avec un petit sourire rare, éphémère avant d'entendre du rap sur ma gauche.
Quand un trajet de trente minutes s'avère être l'équivalent de toute une vie.
(allez lire les remerciements, vraiment, c'est très important pout moi)
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Trente minutes
Teen FictionQuand un trajet de trente minutes s'avère être l'équivalent de toute une vie. © larmesmauves - 2015