2.1 *°* Amy

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Le soleil qui quelques heures plutôt brillait haut dans le ciel, commence à disparaitre derrière d'épais nuages. La mer est agitée, ce qui rend autant plus son odeur iodée enivrante. Les puissants rouleaux viennent frapper le ponton de la jetée de plein fouet. Sans parler des mouettes qui virevoltent dans le ciel, scrutant le monde d'en dessous à la recherche de friandises à chaparder. Une d'elle vient de se poser non loin du banc où nous nous sommes installés.

Je suis encore un peu tendue, mais c'est sans compter sur la bienveillance de Liam. Tout dans le charisme du jeune homme exprime la joie de vivre. A croire que rien ne peut l'atteindre. Même alors que le ketchup de mon hot-dog a coulé sur son chino beige et que la tache c'est décuplée par ma faute. J'ai essayé maladroitement de l'atténuer, ce qui a fait rire Liam. Finalement le rire du jeune homme doit être contagieux, car j'ai fini par en faire de même. Je rie à gorge déployée. Enfin je me laisse aller pour la première fois depuis des mois. A vrai dire je ne me souviens pas de la dernière fois ou je me suis sentie aussi bien. J'en ai presque oublié que d'un moment à l'autre je devrais retrouver ma morbide chambre d'hôpital.

─ Désolée, dis-je pour la énième fois. J'espère qu'elle partira au lavage.

─ Ne t'en fais pas, ça n'a aucune importance, si tu me parlais plutôt de toi.

Etonnée je fixe Liam du regard, jusqu'à ce que le bleu électrique de ses yeux me déstabilise. Instinctivement je me mets à jouer nerveusement avec la serviette en papier, que je tiens entre mes mains. Je sens le regard de Liam peser sur moi. Impossible que j'aborde un sujet sur ma vie sans parler de ma maladie. Je préférai évincer la question en changeant de sujet.

─ Ma vie n'est gère intéressante, raconte-moi plutôt la tienne. Je veux tout savoir.

Liam doit se rendre compte de ma gêne, néanmoins il n'insiste pas et commence à parler de lui en général.

─ Et bien par où commencer. Je m'appelle Liam, mais ça tu le sais déjà, dit-il d'un sourire enjôleur. J'ai 22 ans et je suis en quatrième année de médecine à l'Université de Black River.

─ Vraiment tu étudies la médecine ? m'étonné-je.

─ Oui, tu as l'air d'en douter.

─ Non c'est juste qu'avec ta carrure et ton assurance, je te voyais footballeur ou rugbyman. Quelque-chose dans ce genre-là.

─ Tu n'es pas la seule qui m'ait déjà fait la remarque, rit-il.

─ Alors pourquoi la médecine ?

Le brun se cale au fond du banc et passe une main sur son visage. A présent c'est à mon tour de l'observer intensément, intriguée par l'homme qui se tient à mes côtés. A croire qu'où que j'aille l'hôpital n'est jamais bien loin.

─ Ma mère est infirmière, je suppose qu'elle m'a transmis sa passion. Mais il n'y a pas que ça, j'ai besoin de me rendre utile. Je veux pouvoir aider les gens, sauver des vies. Faire partit d'un morceau de l'existence d'une personne, laisser une trace en quelque sorte. C'est stupide dit comme ça.

─ Non pas du tout. Je suis persuadée que chaque patient aimerait avoir un médecin avec cette idéologie. De savoir que tu t'es donné corps et âme à tenter de leur sauvé la vie, même si c'était perdu d'avance.

─ La médecine n'est malheureusement pas une science miraculeuse. Mais elle a fait ses preuves. Evidement on ne peut pas sauver tout le monde.

Je me mets à fixer la vaste étendue d'eau qui s'agite devant moi. Le ciel gris peut à présent se confondre avec l'océan, signe qu'il ne tarderait pas à pleuvoir. Le vent vient s'engouffrer dans mes cheveux me faisant frissonner.

─ Amy tu te sens bien ? Tu es très pâle et tu sembles épuisée.

Je détourne mon regard de l'océan pour faire face au brun quelque peu perdue.

─ Est-ce-que tu penses que l'on peut se remettre de la perte d'un être cher ?

Les yeux de Liam s'arrondissent, le jeune homme ne devait surement pas s'attendre à ce que je lui pose une telle question. Pourtant il se reprend rapidement ne voulant probablement pas m'heurter.

─ A vrai dire je n'en sais rien. Il y a différentes façons de surmonter un deuil, tout dépend de la personne. Le manque ne disparait pas, mais on peut s'en servir pour se reconstruire.

─ Et tu penses que c'est faire preuve d'égoïsme que de préférer la mort à la vie ?

─ Pour ceux qui restent après oui, prétend Liam. Tout comme je pense que c'est cruel de renoncer à la vie, même si elle peut être dure. Des gens luttent chaque jour pour survivre. Après cela dépend également des circonstances.

Je sens déjà des larmes se former aux coins de mes yeux. Pourquoi au travers de Liam j'ai l'impression d'entendre Dustin ? Je comprends à présent la réaction de mon ami, mais j'aimerais que lui aussi accepte ma décision. Un jour viendra où mon cœur cessera définitivement de battre et ce jour-là qu'adviendra-t-il de ceux que je laisserai derrière moi ? Iront-ils eux aussi de l'avant ?

Liam dépose doucement sa main sur la mienne. Ne constatant pas de réaction de ma part, il se permet de serrer doucement ma main froide et squelettique dans la sienne. Ce contact chaleureux et rassurant m'apaise me laissant parcourir d'un frisson de bien-être.

Liam n'a rien d'un idiot, bien au contraire. C'est un futur médecin. Je le soupçonne d'avoir compris que mon comportement distant, mon refus de parler de moi et mes questions n'étaient pas anodins. Sans parler de notre rencontre une heure auparavant, plutôt inhabituelle. Les trais de Liam expriment l'anxiété et cela me peine tout autant. Il est clair que qui qu'onques me prêtait un minimum d'intérêt, se serait aperçu que je suis anormalement maigre. Que ma peau est si pâle qu'elle paraissait translucide, laissant apparaitre mes veines. Que mes joues creusent ne font qu'amplifier mon regard fatigué, vitreux, malade.

─ Tu peux avoir confiance en moi Amy, murmure Liam à mon oreille. Si tu veux parler je serais prêt à écouter sans porter de jugements. J'ai vraiment envie d'être un ami pour toi et non un simple inconnu rencontré dans une librairie.

─ Il serait préférable que je reste une simple inconnue à tes yeux, avec qui tu aurais partagé le meilleur hot-dog du pays, lui confessé-je d'un mince sourire.

Jusqu'à ce que la neige cesse de tomberOù les histoires vivent. Découvrez maintenant