Les pneus de ma bicyclette crissent sur les graviers des allées du cimetière. Le vent froid de novembre me glace les mains, je regrette de ne pas avoir pris mes gants. D'après les journaux télévisés, les températures de ces derniers jours sont inférieures aux normales saisonnières. Les arbres sont déjà presque dépourvus de leur feuillage, ce qui fait résonner d'autant plus le repos mortuaire qui rode en ces lieux.
J'emprunte la première à droite, le bouquet de tulipes rouges dans le panier du vélo s'agite sous les secousses des crevasses du chemin. Il y a un peu moins d'un an la dernière fois que je me suis rendue dans cette partie du cimetière de Black River, d'après mes souvenirs je sais que la tombe se trouve par là. Je préfère abandonner ma bicyclette dans l'herbe et poursuivre le chemin à pied. Je remets mon bonnet en place et réajuste mon écharpe, puis j'attrape le bouquet et ma besace.
Je mets un bon quart d'heure avant de trouver la plaque mortuaire. Néanmoins le moment venu mon sang se glace, bien plus que le vent qui me brûle les joues. C'était peut-être trop tôt, je ne suis pas prête.
Pourtant ces derniers jours, j'ai pris le temps de réfléchir à ce que Daniel m'a dit au sujet de Jason. Au fait que je ne finirais pas mieux que lui à nier la mort de mon petit-ami. Je dois me rendre à l'évidence, Daniel a raison. Je ne peux pas aider une personne à faire son deuil, alors que moi-même je n'ai pas fait le mien. J'ai beau lui faire des reproches, au final mon état émotionnel n'est pas plus stable que le sien.
La tombe est là, quelques mètres plus loin. Elle n'est pas différente des autres, juste un peu plus claire. Les saisons et la pollution n'ont pas encore eu raison d'elle. Un chrysanthème blanc habille la pierre, mais il n'y a pas d'autres fioritures. Jason n'aurait pas aimé si cela avait été le cas.
Je laisse tomber ma besace dans l'herbe gelée, puis m'accroupie pour déposer le bouquet de tulipes contre la tombe. Le rouge des fleurs jure avec la blancheur de la pierre. Mon index parcoure les gravures dorées.
JASON BATISTA RAMIREZ
27 JUILLET 1996 - 18 JANVIER 2016
La leucémie, ou plus communément appelé cancer du sang. Voilà ce qui m'a privé de Jason. Une mort longue et douloureuse. Pourtant contrairement à moi, il ne s'est jamais plein de ce que la vie lui avait réservé. Je l'ai observé souffrir en silence. A croire que c'est facile de mourir. Il ne pensait jamais à demain. « Ah quoi bon, il n'y aura peut-être pas de lendemain ! » disait-il.
Je me relève les jambes engourdies, attrape ma besace et en ressort un plaid que j'étends sur l'herbe. Je m'y installe dans une position plus confortable cette fois. Mon thermos roule du sac, j'en profite pour avaler quelques gorgées de thé chaudes. Je sens mes muscles se détendre sous influence du liquide réconfortant.
─ Bonjour Jason, ça fait longtemps. J'ai perdu la notion du temps cette année.
Du pouce je joue avec le couvercle du thermos. C'est étrange de m'adresser à lui alors qu'il n'est plus là. C'est douloureux. C'est avoir la chair brûlée à vif, ou du moins cela y ressemble j'imagine.
─ Je n'ai pas d'excuses pour t'avoir ignoré durant tous ces mois. C'était dure de revenir ici. Je ne voyais pas l'intérêt de venir pleurer sur ta tombe, pour moi tu n'étais plus là. Tu n'existais plus. Mais aujourd'hui je dois me rendre à l'évidence, il y a une vie après la mort. N'est-ce pas un euphémisme, une athée comme moi ! Avec ce que je vie en ce moment, Liam et tout ce paranormal, je ne cesse de me demander si tu es là près de moi. Ou as-tu trouvé la paix ? Je ne veux pas être égoïste, je l'ai été assez par le passé. J'espère que tu ne m'entends pas à cet instant, cela voudrait dire que tu es partit pour une meilleure existence. Que tu n'avais pas à t'inquiéter pour moi.
Une branche craque non loin, je cherche immédiatement des yeux d'où vient le bruit. Ce n'est qu'une corneille dans l'arbre à quelques mètres. Le conseil de Daisy de ne pas me rendre ici seule me trotte dans la tête. J'observe les alentours la respiration bloquée. Les visages masqués des braqueurs de l'épicerie me troublent la vue. J'ai soudain l'impression de sentir le canon froid du pistolet sur ma tempe. Je secoue la tête pour effacer ces souvenirs. Il n'y a personne ici à part mes craintes et moi.
─ Certains jours je me réveille avec la gorge nouée, murmuré-je. J'ai peur Jason. J'ai peur de la vie sans toi. J'essaie de retrouver la personne que j'étais plus jeune, celle qui avait des rêves pleins la tête. Pourtant j'ai le sentiment que mon âme est noircie et que la lumière n'y trouvera jamais plus sa place.
Une larme se forme au coin de mon œil droit, je l'efface d'un coup d'écharpe. Je suis fatiguée de pleurer constamment, mon existence a toujours consisté à survivre et c'est ce que je fais encore aujourd'hui. Je ne sais pas vivre. Je survie. Il est temps que je lâche prise, que je laisse Jason partir. Si quelqu'un mérite de reposer en paix, c'est bien lui.
─ Je t'ai apporté des tulipes rouges, comme celles que tu m'offrais.
Je souris en caressant les pétales soyeux.
─ Tu te souviens de la fois ou je t'ai enfin demandé, pourquoi tu choisissais toujours des tulipes rouges ? Moi je m'en souviens comme si c'était hier ...
*
Hey, voilà la suite des aventures d'Amy. Ok ok, je vous l'accorde il ne se passe pas grand chose dans cette partie de chapitre. Mais c'est important que Amy puisse faire le point seule pour la suite de l'histoire. Comme c'est un chapitre plutôt court, je posterai la deuxième partie ce week-end. Se sera un petit retour dans le passé pour enfin connaitre un peu mieux Jason.
Vous m'avez manquées, je m'excuse pour ne pas avoir posté durant l'été. Mais c'est compliqué de conjuguer cette histoire avec le travail. Alors je tiens à vous remercier pour votre soutien.
A bientôt, Sandy.
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Jusqu'à ce que la neige cesse de tomber
RomanceAmy 19 ans, si jeune et pourtant ses jours sont comptés. Quelques semaines, ce n'est que ce qui lui reste. Déjà cinq ans maintenant qu'elle attend une transplantation. Un nouveau cœur, pour une nouvelle vie. Mais l'échéance se rapproche, Amy n'y cro...