Contenance

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( en multimédia : Clara à gauche et Charlotte à droite )

Quand on regarde quelqu'un, on en voit que la moitié.

4 Juillet, 11h04, Venice Beach, Los Angeles

- Mais vas-y, pédale!

J'étouffe un rire. Clara déteste le vélo, mais a quand même voulu en faire. C'est bien comique ... Pour aujourd'hui, nous avons décidé d'aller se balader dans les rues de LA, et defaire, pour ce matin, du roller sur Venice Beach. Enfin, pour Clara, Hailey et moi, ce sera du vélo. Le roller et moi, c'est pas franchement une histoire d'amour. Si c'est pour me casser la gueule comme Anouck vient de le faire, non merci. Haha, c'était trop drôle.

- Nan mais ça fait un bail que j'ai pas fait de vélo aussi. Hailey, comment tu fais ?

La concernée, en tête de toute cette expédition, se retourne et sourit.

- Tu me demandes comment je fais du vélo ? C'est comme si je te demandais comment tu fais pour lire! Mais t'inquiète pas, ça va revenir tout seul.

Et effectivement, après quelques gros efforts pour rester droite, Clara est lançée. Plus rien ne l'arrête, elle pédale, pédale, change les vitesses, freine, rit, accelère, jusqu'à ce qu'elle rentre dans un piéton. Fallait s'y attendre. Avec Hailey, nous pédalons aussi vite que nous pouvons et arrivons au moment où Clara aide le piéton à se relever.

- Oh mon dieu, je suis désolée, est-ce que ça va ?

- Y a pas de poblème, lui rassure l'inconnue. Je pense juste être bonne pour quelques bleues !

Les autres arrivent en roller.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demande Alexeï en rigolant.

- Oh mon dieu, Clara, me dis pas que t'es monté sur le vélo finalement ? dit Anouck, en voyant le fameux vélo à terre, les bleues de l'inconnue, et le visage défait de Clara.

- Ne soyez pas aussi dure avec votre amie, sourit l'inconnue. Ca va, plus de peur que de mal.

- Espèce de pas douée, cas désespéré que tu es, dit Inès en secouant la tête d'un air vaincu.

Et après moultes excuses, nous repartons joyeusement, Clara conduisant d'une manière un peu plus ... avisé.

La journée est vite passée. Entre quelques balades dans les rues, quelques achats aussi (j'ai vu une de ces robes, OMG), je me rends compte qu'une journée, ce n'est rien tellement ça va vite, qu'elle s'enfuit presque. On ne s'en rend même pas compte, mais c'est bientôt la fin. Bon, ok, tout est relatif hein. Il nous reste encore pas mal de temps, mais bon... C afait déjà plus d'un mois qu'on a posé nos pieds sur le sol américain, et après tout ce qui s'est passé, tout ce qu'on a vécu, je me dis que tout n'est déjà plus qu'un souvenir, des photos dans un tiroir, un mal de coeur qui ne veut pas mourir dans ma mémoire. Parce que les bonnes pensées, les beaux souvenirs, quelque part, ça fait autant de bien que ça. Pare que, dès qu'on y songe, encore et encore, eh bien, ça fait plus de mal qu'autre chose. Parce qu'on regrette, quelque part, cette époque là où on était si heureux. Parce que, quelque part, on finit par tout regretter. C'est l'essence de ce qu'on appelle la condition humaine : " j'aurai pu, mais je ne l'ai pas fait ", "Je voulais, mais me le suis interdit" ... On en revient toujours à ça. Ce n'est pas moi qui l'ai dit. C'est mon Douglas Kennedy.

Tout ça pour dire que j'ai complètement zappé Alexeï et son portable. Et une journée de moins, une !

- Tu penses à quoi ?

Nous sommes dans la rue commerçante, juste à côté de notre hôtel. Je suis partie me promener avec Anouck, Will et James. Les deux amoureux sont vite partis devant, se tenant la main, s'exastasiant sur çi, sur ça. Il faut qu'ils officialisent. James, quant à lui, est gentiment resté avec moi.

- A tout. C'est n'importe quoi dans ma tête, je lui réponds en souriant.

- Haha, je m'en suis douté, t'inquiète pas! Vous êtes combien là-dedans ? me demande-t-il en tapant mon front, comme pour tester la résonnance de mon crâne.

Je ris et enlève sa main.

- Houlà, je ne suis pas un. Je suis plusieurs, je suis un vrai bordel.

- Mais ça ne te fatigue pas, des fois, d'être aussi sérieuse et de penser autant ?

- Ca m'épuise. Mais tu sais ce que disait un grand écrivain français ?

" Depuis mon enfance, je m'étais toujours montrée extrême, entière, et j'en tirais fierté. Les autres s'arrêtaient à mi-chemin de la foi ou du scepticisme, de leurs désirs, de leur projets : je méprisais leur tièdeur. J'allais au bout de mes se,timents, de mes idées, de mes entreprises ; je ne prenais rien à la légère ; et, comme dans ma petite enfance, je voulais que tout dans ma vie fût justifié par une sorte de nécessité. Cet entêtement me privait, je m'en rends compte, de certaines qualités, mais il n'était pas question de m'en départir ; mon sérieux, c'était tout moi, et je tenais énormément à moi. "

James se mit à siffler.

- Wouah, bravo !

Eh oui. J'aime bien citer des auteurs français, comme ça, dans des discussions. Leurs textes parfois me ressemblent tellement que je les retiens très facilement.

- Et c'est de qui ? me questionne-t-il.

- Simone de Beauvoir.

- Je l'adore ! Son autobiographie est un chef d'oeuvre! J'ai dévoré le premier en une nuit.

Etonnée, je le regarde jouer avec une raquette de tennis en plastique aux dehors d'un magasin.

- Tu lis du de Beauvoir toi ?

- Bah oui, pourquoi, ça t'étonne ? J'adore la littérature française.

Sidérée, je ne cache pas ma surprise, qui le fait rire, d'ailleurs.

- Ferme la bouche. Tu sais, c'est pas parce qu'on est gay qu'on est stupide et sans culture hein.

Honteuse de me conduire comme ça, je lui dis, en lui souriant simplement.

- C'est vrai que ça me surprend beaucoup que tu lises ce genre de littérature, mais je suis ravie! Je vais enfin pouvoir parler avec quelqu'un qui connait autre chose que 50 Nuances de Grey.

Nous nous esclaffons en même temps.

Nous continuons de marcher, s'arrêtant de temps en temps, parlons de livres, d'auteurs, d'artistes. Il a une culture phénoménal! Comme quoi... Ces foutus clichés ont la vie dure. 

Une part de moi-mêmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant