Vous avez dit "nuptial" ?

3.1K 297 11
                                    

Leila.

Les derniers mots d'Adrien tournent encore dans ma tête lorsque nous atterrissons à l'aéroport international des Seychelles sur l'île de Mahé. La chaleur est douce et presque étouffante après le froid hivernal de Paris, et, celui non moins polaire de l'avion après que mon associé se soit cru obligé de me faire la morale. J'ai eu l'impression que ça durait des heures. Je crois que tout y passé : l'inconscience de Leila, l'égoïsme de Leila, l'arrogance de Leila, l'impudence de Leila... Et encore j'en oublie. Je l'ai laissé vider son sac sans dire un mot. Mais à chaque défaut qu'il me trouvait et qu'il rajoutait sur sa très longue liste, mon thermomètre interne montait d'un degré supplémentaire.

Vous visualisez la cocotte-minute de votre grand-mère avec son bouchon qui tourne à fond les gamelles et qui siffle quand la pression devient trop forte ?

Eh bien c'est précisément ce qui m'est arrivé.

- Tu as fini ? je demandais à la fin.

Il grogna.

- Je te préviens, Leila, une fois sur l'île je te séquestre. Interdiction de faire n'importe quoi.

J'hausse un sourcil circonspect. Je ne comprends plus rien de cet homme. Il me cherche, me repousse, revient pour mieux repartir et encore mieux revenir. Un coup il joue, un coup il est sérieux. Une minute il est protecteur, celle d'après il me vole dans les plumes.

Qu'est-ce qu'il veut au juste ? Il attend quoi de moi ? Et moi ? Pourquoi, je le laisse me faire ça ?

Toutes ces questions ne font qu'exacerber un peu plus ma méfiance envers lui tout en soufflant un peu plus fort sur les braises de mon désir. Mais ce qui prédomine réellement : c'est la colère. Et comme de surcroît il m'a laissée sur ma faim...

Frustrée ? Moi ?

- Tu comptes me passer une laisse aussi ? Dis-moi, j'ai vraiment l'air d'avoir un collier avec marqué "caniche d'Adrien" dessus ?

Il se recule frappé par mes mots assassins.

- C'est ce que tu crois ? me demande-t-il. C'est vraiment ça que tu penses de moi ?

Ma peur pour ma famille, pour ma société, pour tout ce que j'ai mis des années à construire, m'empêche d'être pleinement objective. Quelque part très loin, ma conscience me hurle que je ne m'en prends pas à la bonne personne... Mais je suis fatiguée, et moralement à bout. Alors tout ce que j'ai gardé au fond de moi depuis l'accident à la mine, depuis la tentative d'enlèvement en Colombie ressort brutalement et méchamment.

Adrien me voit comme une victime et j'ai horreur de ça. Il me croit faible et sans défense. Il me pense désarmée. Et s'il y a bien une chose que je déteste, c'est lire ma propre vulnérabilité dans ses yeux gris orage.

- Je sais ce que tu es Adrien. Je sais qui tu es. Toi...et moi. C'est l'échec assuré. Regarde-toi, là, à essayer de faire de moi ta petite chose fragile. Depuis quand tu t'es découvert une âme de prince charmant ? J'ai fait des choix et je les assume. La seule chose que je regrette, c'est que mon entourage proche se trouve mêlé à cette histoire. Pour le reste, je n'ai besoin de personne pour me défendre. Personne.

- Tu sais qui je suis ? Vraiment ? s'énerve-t-il à son tour. Tu sais ?

- Adrien, s'il te plaît ! Ne fais pas semblant de ne pas comprendre ce que j'essaie de te dire là. Si j'étais un mec, personne ne me reprocherais mon attitude de défi et de guerrier. Mais pas de bol, je suis une femme. Et parce que je suis une femme, tu te permets de me faire la morale et de m'infantiliser. Ose dire le contraire ?!

Il ouvre la bouche et la referme. Je poursuis hargneuse.

- Parce que je suis une femme, tu te sens obligé de me sortir l'armure de chevalier. Je ne t'ai rien demandé, je te rappelle. Tes poussées de testostérone, je peux m'en passer. Ta condescendance à deux balles également. Tu veux que je te dise ? Si j'avais été un mec, tu m'aurais filé une grande claque dans le dos en me félicitant pour mon courage et la force de mes convictions, alors que là tu... Tu es méprisant et limite insultant.

Il se recule encore. Son regard brille d'une lueur que je n'arrive pas à identifier clairement.

- Tu n'as vraiment rien compris alors...

- Oh je crois bien que si au contraire... Erria. Tout ceci est une monumentale erreur. Une vaste farce. Et je vais y mettre un terme immédiatement.

- Qu'est-ce que...

- Nous ferons ce pourquoi nous sommes venus. C'est tout. Après chacun reprendra son chemin. Je suis capable de vous supporter comme associé tant que vous ne tentez pas de me dominer juste parce que j'ai une paire de seins et non pas une paire de couilles. Par contre, je sais que je suis parfaitement incapable de tolérer votre attitude de masochiste rétrograde. De retour à Paris, je ne veux plus vous voir.

Sur ce je tourne les talons et repars m'enfermer dans la cabine. Adrien n'a rien tenté pour me retenir, ni pour se défendre. J'espérais naïvement qu'il me contredirait, qu'il nierait en bloc toutes mes accusations. Mais non, il m'a regardé, m'a laissée partir, et n'a même pas esquissé un geste. J'ai passé le reste du vol roulé en boule sur le lit, emmitouflée dans son pull bien trop grand pour moi, mais que je n'ai certainement pas envie de lui rendre...

Je sais. Je suis irrécupérable.

Nous sommes sur le tarmac. Il ne me calcule pas, ne me déshabille plus du regard. Nous prenons un taxi direction l'héliport. Il nous reste deux heures de vol pour arriver jusqu'à Frégate. Deux heures de tortures psychiques et physiques. Psychiques parce qu'Adrien a décidé que je n'existais plus. Je suis devenue totalement transparente. Et ça me bouffe littéralement. Pourquoi, ne me hurle-t-il pas dessus, bordel ? Physiques, parce qu'il s'est changé. Et croyez-moi, Adrien Erria en polo noir Lacoste et pantalon de lin blanc, c'est...

Pff... J'ai vraiment chaud soudain...

Allez-y ! Dites-le que je suis une débile profonde parfois ! Lâchez-vous, c'est ma tournée...

J'ai envie de me mettre des claques. Mais Adrien avait besoin d'entendre ça aussi. Parce que je sais que j'ai raison sur ce que je lui aie dit. J'ai juste peut-être manqué d'un peu de diplomatie...

Nous arrivons. Enfin. L'île de la Frégate est vraiment magnifique. Un vrai petit coin de paradis. Nous débarquons de l'hélico, toujours en froid et sans un mot. Un chauffeur s'occupe de nos bagages, pendant qu'un homme tiré à quatre épingles s'approche de nous avec un grand sourire.

- Bienvenu à l'île Frégate. Nous sommes heureux de vous accueillir et espérons que votre séjour se passera au mieux.

Adrien lui sert la main. Je fais de même.

- Je m'appelle Carter. Je suis votre majordome attitré. Je suis là pour rendre votre lune de miel inoubliable. Et si je puis me permettre, vous formez vraiment un couple magnifique tous les deux !

J'écarquille les yeux, estomaquée. Adrien étouffe un juron avant de me sortir un sourire que je qualifierai de parfaitement traître.

- La villa nuptiale vous donnera toute satisfaction j'en suis sûr.

La quoi ? L'univers, s'il te plaît, dis-moi que Joe ne nous a pas fait ça... ?

Adrien me dit d'un air vengeur :

- Après toi, Mme Erria.



Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant