Sables Mouvants

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9 Février 2015. Leila.

  Encore une journée de plus. J'ai été attachée à un pied de table dans une cabine luxueuse certes mais qui n'en reste pas moins une prison.

Ne le dites surtout pas. Je vois d'ici votre petit sourire en coin. L'Univers me punit après ce que j'aie osé faire à Adrien...

Juste retour des choses et de menottes.

Le "Prince Dolos" vient de mouiller au large de Mogadiscio. Je peux voir le port de la fenêtre de ma cabine. J'ai soif et ma pommette éclatée me lance. L'autre vicelard m'a salement amoché. Mon œil est gonflé et j'y vois mal. Au moins j'ai le temps de réfléchir.

J'espère qu'Adrien et Mayorca ont réussi à nous repérer et que l'assaut ne va pas tarder. Je commence vraiment à perdre patience. J'espère également qu'Adrien a compris ce que je lui demandais. J'espère qu'il a compris que je déviais toutes les histoires de bons au porteur sur lui pour protéger Savage et son bébé. Elle est la seule aujourd'hui à savoir ce qu'il en est exactement. La seule à qui j'ai légué le pouvoir de me remplacer en cas de besoin. Même si je dois reconnaître qu'Erria a les épaules pour ça.

Adrien...

Je suis complètement déboussolée par ce qu'il m'a dit et surtout la façon dont il me l'a dit. C'est sorti si naturellement ! Comme si c'était une évidence pour lui, quelque chose de définitif... Je dois dire que je ne m'y attendais absolument pas.

Du coup, ma boussole interne a perdu son nord.

Je ne comprends pas comment il fait pour me tenir tête comme ça. Comment il fait pour toujours reprendre la main sur notre partie de poker déshabilleur... Parce que ne nous leurrons pas, chaque fois que nous nous provoquons, que nous nous heurtons, c'est pour mieux se foutre à poil l'instant d'après...

Curieusement, nos confrontations verbales mènent invariablement à ma petite culotte sur le sol à ses pieds...

Ça m'énerrrrvvve !!!!!

Et voilà qu'il change toutes les règles du jeu maintenant ?!!! Mais c'est quoi ce putain de délire ? Qu'est-ce qui lui est passé par la tête ?

Je t'aime ???? Ça veut dire quoi d'abord ?

Mon cœur s'est mis d'un seul coup à battre bien trop vite. Bien trop fort. Sur le moment, j'ai paniqué. Je n'ai pas su quoi répondre à ça. C'est aussi simple que ça. Il m'a coupé la chique, le con !

Et je panique encore. Parce que quand on va se retrouver (et je sais qu'on va se retrouver), il va falloir que je compose avec cette nouvelle donnée. La vérité c'est que je ne suis pas bien sûre d'en être capable. J'ai comme l'étrange sensation que ce n'était pas le bon moment.

Je sais c'est débile. C'est d'autant plus débile que quand il est dans les parages, j'ai toujours l'envie furieuse de me dépasser, de faire encore plus, encore mieux. Quelque part sa simple présence me pousse à aller plus loin. Je n'ai rien à lui prouver et pourtant, c'est l'effet qu'il me fait. J'ai besoin qu'il me regarde, qu'il m'admire, qu'il ne m'oublie pas.

Mes réflexions m'amènent à penser que je suis prisonnière de sentiments semblables à des sables mouvants. Plus je me débats contre et plus je suis aspirée dans un puits sans fond. Or, je n'arrive pas à lâcher prise. Je crois qu'il attend de moi que je lui laisse le contrôle, que je m'abandonne. Mais je ne peux pas. Pas encore. Ça me fait trop peur. Le risque de perdre bien plus que je ne voudrais est trop important. D'autant qu'Adrien ne m'a pas laissé suffisamment de bonnes raisons de croire le contraire...

Du bruit soudain.

Kostas entre dans ma cabine/prison, un sourire aux lèvres.

- Votre associé doit vraiment tenir à vous. Il a accepté de me donner ses parts et d'aller chercher les vôtres...

Je me mords les lèvres. J'espère qu'Adrien est en train de l'en... correctement. Kostas s'approche de moi. Bien trop près. Son after-shave emplit mon air. Il se penche vers moi et caresse ma joue et mon œil gonflé d'un doigt. Je détourne la tête vers lui, le regarde, et quand son doigt s'approche de ma lèvre je le mords violemment. Jusqu'au sang.

- Salope !

Une autre gifle me jette au sol. Mais je m'en fous. Je souris face au parquet de la cabine, pendant que Kostas sort en claquant la porte. J'ai dans ma main la petite clé des menottes qui me retiennent.

Qui a dit que la rue ne m'avait rien appris ? Merci César.

Tant pis. Si personne ne vient à ma rescousse, la rescousse viendra à moi toute seule ! Je ne suis pas réputée pour ma patience. Merde ! Ils en mettent du temps ! Je leur sers tout sur un plateau, et ils sont pas foutus d'être là en temps et en heure !

Je me suis toujours débrouillée toute seule et je vais continuer comme ça. Adrien et Mayorca n'arrivent pas ? Eh bien, je vais faire sauter ce bateau et j'irai après à la nage jusqu'au rivage. Y'a quoi deux bornes ? Une paille...

Je commence par me détacher et par m'étirer. J'ai des fourmis dans tous les membres de mon corps. Je me force à prendre mon temps pour me calmer et me concentrer. Ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort, et je suis quelqu'un de fort. Et surtout d'incontrôlable... C'est ça ma force, mon pouvoir, qui fait que je suis celle que je suis... J'ai rapidement une pensée pour Joe et pour Adrien aussi. Quand même...

Rien que ça, ça devrait m'alerter sur ce que je ressens. Mais je ne m'y arrête pas parce que je n'ai pas le temps. Je dois d'abord m'échapper. Après je ferais le point.

J'ouvre la porte de ma cabine prudemment. Heureusement pour moi, Kostas ne l'a pas verrouillée. Comme si une simple paire de menottes avait le pouvoir de m'arrêter... Y'en a qui doute de rien je vous jure !

J'avance à pas de loup dans la coursive. Je me planque une fois en vitesse dans un recoin quand j'entends arriver quelqu'un. Puis je ressors toujours sur le qui-vive. J'avance sans trop savoir où je vais. Je tente de me repérer mais ce yacht est immense. Il faut que je remonte...

Au moment où enfin je vois la lumière du jour et où je sens l'air frais et iodé de la mer, Anaximandros sort d'une cabine au côté d'un de ses hommes de main juste derrière moi. Je me retourne doucement. Il s'arrête, estomaqué de me trouver sur le pas de sa porte. C'est le cas de le dire. Puis son visage prend une expression de haine absolue. Il ordonne quelque chose en grec. Je prends peur et je détale.

Je déboule sur le pont. Le soleil m'aveugle. Des cris derrière moi. Un coup de feu claque juste à côté de mon pied. Je hurle et je tombe déstabilisée soudain par un vacarme infernal et une brusque bourrasque de vent.

Je lève les yeux au ciel. Au-dessus de moi, un hélicoptère noir, avec Mayorca, arme au poing, qui vise quelque chose derrière moi. Je me redresse pour courir et me mettre à l'abri je ne sais où... L'adrénaline me donne des ailes.

Des coups de feu retentissent de tous les côtés. Je continue de courir vers la poupe espérant vaguement pouvoir sauter dans l'eau par là sans me tuer. Quand j'y arrive, Adrien est là aussi. Je n'ai jamais été si heureuse de le voir. Il me hurle quelque chose. Je n'entends pas avec tout ce boucan.

Je cours quand soudain je sombre.

Trou noir.  

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant