Les Inavouables

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Adrien. Même Jour. Même endroit.

Leila s'est endormie dans mes bras. Je l'ai regardée pendant deux heures. Même dans son sommeil, elle avait l'air fatigué et tendu. Je ne peux qu'imaginer tout ce qu'elle a dû ressentir, après la chute de son empire.

Et tout est de ma faute.

Pas étonnant qu'elle ne veuille plus de moi. Qu'elle ne me fasse plus confiance.

Pourtant, juste avant qu'elle ne replonge dans les bras de Morphée, j'ai senti que le désir était toujours là. Même peut-être plus présent qu'avant, car teinté de retenue et d'inaccessibilité.

Le désir sexuel est une évidence entre nous depuis le tout début. Mais depuis notre collaboration forcée, depuis les Seychelles, depuis l'Islande, il est passé à un tout autre niveau. Je désire tout de cette femme et de la vie que je pourrais avoir avec elle. Et ce qui me fait le plus mal dans tout ça, c'est de voir que Leila avait, jusque-là, les mêmes envies que moi. Or, j'ai vu dans ses magnifiques yeux verts qu'elle pensait avoir tout perdu. Qu'elle pensait ne plus avoir droit à tout ça.

Le problème avec Lei, c'est cette foutue armure qu'elle enfile dès qu'elle se sent en danger. Et je ne parle du danger d'une tentative d'assassinat ou même d'un enlèvement, non, je parle du danger de laisser s'exprimer ses désirs profonds et cachés. Les inavouables. Ceux qu'on ose ni révéler, ni aborder, ni même avouer qu'ils existent... Des fois qu'ils ressembleraient à un boomerang et qu'ils vous reviendraient en pleine face.

Je sens mon téléphone portable vibrer dans la poche arrière de mon pantalon. Je la regarde une dernière fois, et caresse sa joue. Elle soupire à mon contact. Cela me fait sourire. Que Leila Michel le veuille ou pas, elle est à moi et elle a besoin de moi.

Elle ne veut pas de mon aide ?

Tant pis, je la lui donnerai quand même. De toute façon, nous avons toujours été dans la confrontation, tous les deux. Que ce soit à coup de phrases assassines, de jets d'objets, ou de farces idiotes.

Elle ne veut plus de moi ?

Je lui ferai changer d'avis, dussé-j'y passer le reste de ma vie.

Mon Black Berry s'arrête pour mieux repartir. Je finis par me lever à contrecœur pour y répondre. Je ne m'éloigne pas cependant. J'ai besoin d'avoir Leila sous les yeux. Je ne veux plus prendre de risque de la voir s'échapper à nouveau. Il y a trop en jeu. Beaucoup, beaucoup trop.

- Erria.

- Bonjour Adrien.

La voix à l'accent argentin me met en rogne. Mais bon, je ne peux pas faire comme si elle n'existait pas. Donc...

- Delucca, je réponds crispé. Tu tombes mal.

Nevan a un rire nerveux à l'autre bout du fil.

- Si je pouvais me passer de toi, Erria, je le ferais volontiers, crois-moi.

Un silence passe entre nous. Un silence lourd de rancœur, de non-dits et d'amertume.

Malheureusement, lui et moi, nous devons faire avec, car nos familles et nos affaires sont étroitement liées et il n'y a rien que l'on peut faire contre ça. Il détient la plus grande partie des navires qui importent et exportent nos marchandises. Je dois donc constamment me retenir de lui casser la gueule encore une fois, lorsque nous nous voyons. Certes nous faisons en sorte de limiter nos rencontres lui et moi, mais malgré tout, il y a des fois où on n'y coupe pas.

- Qu'est-ce que tu veux ? je lui demande brutalement.

Leila gémit et remue dans son sommeil. Je sors de sa chambre sans bruit mais laisse sa porte entrouverte pour la garder à l'œil.

- Il faut que l'on se voie pour le renouvellement de contrat.

Je soupire en passant ma main dans mes cheveux.

Putain, j'avais oublié.

- Quand ?

- Je viendrai cet été à Paris. Il faudrait qu'on se cale une ou deux rencontres. Les volumes ayant augmenté, il va falloir renégocier.

- Ne me prends pas pour un con Delucca. Nous ferons comme nous avons toujours fait : à la proportionnelle.

- On verra ça, ricane-t-il.

- C'est tout vu, je rétorque.

À nouveau ce silence entre nous. Si un jour on m'avait dit que j'en arriverais là avec lui, je ne l'aurais jamais cru. Lui non plus d'ailleurs. Mais voilà, c'est arrivé.

- Tiens-moi au courant de ta date de débarquement.

- Pourquoi faire ? Tu serais capable de me souhaiter la bienvenue à coup de mortier.

- Crois-moi ce n'est pas l'envie qui me manquait avant, mais aujourd'hui, j'ai tourné la page. Tu es à peine plus important qu'un pet de mouche, le matin au petit-déjeuner. Redescends sur terre, vieux. J'ai d'autres choses autrement plus primordiales que de m'occuper de ton cul.

Inspiration violente au fond de mon oreille.

Je reprends :

- Tu n'es pas en mesure de m'imposer quoi que ce soit, alors tu feras comme d'habitude, Nevan : à savoir ce qu'on te dit. Maintenant tu m'excuseras, je suis pressé.

Je ne le laisse pas répondre et lui raccroche au nez.

Est-ce que cette période d'emmerdement va s'arrêter un jour ?

J'en ai ma claque de tout ça. Putain, je me fais vraiment trop vieux pour toutes ces conneries. Il est vraiment temps que je mette de l'ordre dans ma vie. Que j'ose à mon tour m'avouer l'inavouable.

Ce que je veux, ce que je désire aujourd'hui : c'est une vie avec Leila et mon fils. Ce que je veux c'est une vie loin des dangers de mon métier. Ce que je veux, c'est reconstruire S.C. Ce que je veux c'est sortir de cette spirale infernale où le passé passe son temps à me rattraper et où tous mes mensonges me pètent à la gueule. Ce que je veux c'est arrêter de naviguer dans les eaux troubles du gris... J'en ai marre d'être toujours ni totalement dans le noir, ni complètement dans le blanc.

Ce que je veux, c'est changer de vie. Ce que je veux c'est de la lumière.

Pour Leila.

Pour Noah.

Pour moi aussi.

Depuis quand je suis devenu sentimental, moi ? Depuis quand j'ai viré ma cuti ?

Je ne sais pas. Ou peut-être bien que si finalement. J'ai toujours su.

Je l'ai toujours été en fait.

Mais chutttt...

Ça fait partie des inavouables.


Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant