Pas de deux

2.5K 240 2
                                    

6 Février 2015. Leila.

  Je suis seule et dans la mouise la plus complète. Mais je n'avais pas le choix. C'était ça ou bien ceux que j'aime dans une boîte à sapin. Je ne pouvais pas m'y résoudre.

Lorsque j'ai trouvé la photo de Savage, mon cœur s'est déchiré littéralement.

Lorsque j'ai vu celle d'Adrien, j'ai su qu'il fallait que je m'éloigne.

Pour lui. Pour moi. Pour nous.

Toute cette histoire aura au moins l'effet positif de me forcer à regarder en face mes sentiments. Et maintenant que je suis loin de lui, seule sur l'océan aux mains d'hommes qui veulent ma mort, je ne suis plus vraiment moi-même. Je ne sais plus tellement qui je suis.

J'ai agi par instinct de conservation. Par instinct de protection. Et plus que tout, ça me fait peur. Je n'ai plus vraiment toute ma tête depuis qu'Adrien est entré dans ma vie. Plus vraiment toute ma raison non plus.

J'en viens à me demander si lui et moi, ça signifie quelque chose. J'ai envie d'y croire. J'aime avoir envie d'y croire. Comme un début de commencement d'espoir de quelque chose... Quelque chose que je refuse d'évoquer à voix haute, que je me refuse même de penser... Mais que je ne veux pas voir s'éteindre, tout en souhaitant pourtant que ça ne brille pas trop fort.

Putain !!!! Je suis vraiment dans la merde !

Depuis qu'il est là, qu'il me bouscule, m'accroche, me repousse et vient me chercher, je me sens vivante comme jamais. Du coup, j'en viens à souhaiter -à prier même- revoir son visage arrogant et son sourire de mégalo. Je rêve qu'il m'assassine à coup de mots cyniques et joueurs, qu'il me suicide à coup de gestes tendres et évocateurs...

Et c'est là sur ce chalutier puant, menottée à un tuyau, que je ressens la puissance du manque de lui. C'est dévastateur. Je ne comprends pas ces sentiments que j'éprouve à son égard. C'est vrai que je le désire, que je le veux, que je le souhaite même.

Mais est-ce que c'est... plus ? Est-ce que c'est... au-delà ?

Et puis, il y a Mayorca aussi. Lui c'est encore autre chose. Il a percé ma carapace en deux heures de temps. Il a trouvé ma faille, là où Adrien lui cherche toujours. Il me plaît c'est sûr, mais quelque chose me dit tout au fond de moi, que je n'irai jamais plus loin que ça. Je n'ai pas l'étincelle. C'est aussi simple que ça.

Plus j'y pense et plus je me dis que je m'enlise. C'est un vrai bordel dans ma tête. Les tasses ont changé d'étagère et ne sont plus rangées avec les sous-tasses...

La seule chose de tangible et qui me tienne encore, c'est que je vais tout faire pour faire tomber les salopards qui me retiennent. Même si je dois y laisser ma peau pour ça.

Je ne supporte pas ceux qui s'en prennent à plus faible qu'eux, juste parce qu'ils ont la possibilité de le faire. Je ne supporte pas l'injustice, ni la méchanceté et encore moins la médiocrité de ces gens qui se croient tout permis juste parce qu'ils ont un flingue dans une main et pensent tenir leur paire de couilles dans l'autre. Ça se pense des hommes, mais ça ne mérite même pas de faire partie de la catégorie des animaux. Tout juste celle des mollusques. Et encore, ces derniers ils ont au moins un neurone.

La face de rat qui m'a récupérée sur le ponton a eu un sourire concupiscent en me voyant. Je n'ai rien montré, mais son regard sur moi, m'a sali plus que ce que je n'aurai imaginé. J'ai une pensée pour Savage et son traumatisme.

Joe si tu savais comme je regrette... Tout ce qui s'est passé... Tout ce que je n'ai pas su t'éviter, ni t'épargner... La seule personne au monde qui m'ait montrée de la compassion, de la gentillesse, sans rien attendre en retour, a souffert l'inimaginable à cause de moi. Je ne me le pardonnerai jamais. Même si, elle, elle l'a fait. Moi je n'y arrive toujours pas.

Le commandant a raison. La vérité c'est que j'ai peur de découvrir finalement que je suis juste une pauvre fille perdue et en manque d'amour. Que je suis juste une fille qui a eu de la chance. Toute sa vie.

Au fond, je sais bien que je ne mérite rien de ce que j'aie aujourd'hui. Je suis née aisée et je n'ai même pas eu la reconnaissance du sang et du ventre. J'ai abandonné la seule famille qui me restait pour partir. Et où ça ? Nulle part. César me trouve et m'apprend la rue. Et moi, je l'abandonne avec le Diable au lieu de l'aider Pour quoi faire ? Pour mieux sombrer. Jusqu'à ce que Joe me trouve et me vienne en aide. Et là, je bousille sa vie en lui présentant l'autre immondice qui a osé la violer, la profaner...

Ma vie est un ensemble de regrets qui pèsent sur ma conscience fautive comme le monde sur les épaules d'Atlas le titan. C'est pour ça que je me bats sans cesse pour rectifier le tir. Pour réparer les injustices et les erreurs dont je me suis rendue coupable par mon manque d'intelligence et de gratitude aussi. Je veux rendre aux autres ce que l'on m'a donné et que je n'aie pas su apprécier à sa juste valeur.

Si je suis forte c'est pour les autres. Mais pour moi, je ne sais pas... C'est en ça qu'Adrien me fait peur. Il est tellement entier. Tellement décidé. Ce qu'il veut, il obtient. Ce qu'il désire, il le ramasse. Ce qu'il souhaite, il l'achète. Or, je ne suis ni un bel objet, ni le prix d'une loterie, ni le troisième vœu de la lampe d'Aladdin.

Je ne suis que Leila Michel, qui n'a qu'un seul désir : aimer et être aimée pour ce qu'elle est : petite, rousse et insupportablement insupportable.

Mais je n'ose pas. Non je n'ose pas. Si c'est pas ironique ça !

J'éclate de rire soudain et ma voix résonne bizarrement dans l'espace clos et métallique dans lequel je suis enfermée. Non mais imaginez un peu ! J'ai laissé en plan, au bord d'un trottoir, un commandant d'Interpol en ayant pris soin de lui piquer ses menottes au préalable et en lui faisant un doigt au passage au moment où je lui suis passée devant avec sa propre voiture. J'ai attaché mon amant occasionnel, qui est également mon associé, nu comme un ver, avec les menottes de ce même commandant, à la table basse du salon après lui avoir fait l'amour sans lui demander son avis... Bon notez bien qu'il ne s'est pas plaint hein ?!!! Mais je doute qu'après un coup fumant comme celui-là, il est à nouveau envie de danser un pas de deux avec moi...

Surtout, quand il va comprendre que j'ai fait exprès de me faire capturer, afin que le commandant et son équipe puissent remonter la piste et ramasser tout ce beau monde. Je me suis placée délibérément dans la peau de la chèvre, de l'appât, du ver au bout de l'hameçon...

Et après je viens vous dire que je n'ose pas ? Non vraiment, il faut que j'arrête de me foutre de la gueule de l'Univers. Ou sinon, il faut que je cesse de me plaindre que l'Univers me le rend bien... Quand on cherche, on trouve. Eh bien l'Univers il m'a trouvé Adrien Erria, le plus bel enfoiré de tous les P-DG. Plus retors, plus têtu et plus borné que moi. Il fallait le faire.

Mon rire se coince dans ma gorge quand j'entends des pas lourds derrière la porte de mon compartiment.

Du nerf Michel, c'est là que tout se joue...  

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant