Diagnostic

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19 Février 2015. Adrien.

  C'est officiel, je suis foutu. Bon à mettre à la casse. Je n'arrive à rien et du coup je passe mes nerfs sur le corps médical. Heureusement, ce sont des saints. Ils supportent tout sans broncher. Sauf l'espèce de dragon qui me sert d'infirmière. Elle, chaque fois que je la vois, je suis au supplice. Elle est plus retorse qu'un cheval de remonte et plus barbue que moi après cinq jours sans m'être rasé correctement... Un vrai bonheur je vous dis...

Non la vérité c'est que je suis encore retourné par le cri de Leila derrière la porte quand Savage lui a dit ce que nous avions fait. Un vrai cri de douleur et de désespoir. Je sais que j'y suis allé fort, mais il fallait que je le fasse. J'en ai marre de payer pour quelque chose que j'aurais fait dans tous les cas, pour une pseudo-trahison que j'ai essayé par tous les moyens de me faire pardonner, pour un manque de franchise enfin. Leila m'aime je crois. Mais tant qu'elle n'arrivera pas à l'accepter, tant qu'elle ne dépassera pas tout ça, je ne reviendrai pas sur ma décision.

Quelque part, là aussi, elle me force à faire des choix. Pour nous deux.

Et j'ai mal. Putain j'ai mal. Je suis une épave. Mon corps guérit petit à petit, mais pas mon cœur.

Docteur, avez-vous un diagnostic ?

Putain faut pas être toubib et avoir fait huit ans d'études pour comprendre que je suis tombé amoureux et que je me suis planté. Encore.

J'ai pris l'habitude de me parler à moi-même depuis que j'ai ce foutu tuyau dans la gorge. En fait, je dois le garder tant que mon poumon n'est pas correctement cicatrisé et tant que cette foutue infection ne sera pas maîtrisée. Et moi immobile... C'est juste l'enfer.

On frappe à ma porte. J'ai envie de hurler. Comme si je pouvais répondre ! Bande d'abrutis ! Entrez merde !

Mon frère fait son apparition.

- Alors trou duc' on se morfond ? Besoin d'une strip-teaseuse ?

Je serre les poings sur mes draps, attrape la télécommande de la télé et la lui balance à la tronche.

- Oh là ! Tout doux ! Qu'est-ce qui se passe ? C'est le Dragon qui t'a fait ta toilette encore ?

Je jure que quand je sortirai de ce lit, je m'exile pour quelques temps dans ma maison en Islande. Je ne supporte plus personne, même mon frère. Sauf peut-être Joe. Elle c'est ma lumière. Elle a fait tout ce que je lui aie demandé et a même anticipé certaines choses. Savage s'est mis définitivement de mon côté. Et bien qu'elle reste loyale à Leila, je sais que c'est pour elle une façon de la pousser dans ses retranchements.

Moi je n'y crois plus vraiment. Ou bien peut-être que je n'ai plus envie d'y croire. Leila ne changera pas. Ce qu'elle a vécu dans la rue l'a définitivement abîmée. Je ne la crois pas assez forte pour dépasser ses peurs et son manque de confiance en elle. Sa fragilité intérieure est bien trop puissante. Bien trop présente.

- A quoi tu penses frangin ?

Je hausse un sourcil à l'attention de Richard.

- Eh ! Pour une fois que je peux profiter de l'immense joie de pouvoir te chambrer sans la possibilité d'un retour de manivelle... Je profite c'est tout...

Je lui fais un double doigt. Droit et gauche. Je sais. Ce n'est pas très évolué. Mais je n'ai plus que ça à l'heure actuelle.

Il rigole de plus belle avant de redevenir sérieux.

- J'ai vu le chirurgien. Tes résultats sont bons. D'ici deux à trois jours, on pourra te sortir le respirateur et tu pourras te lever pour faire quelques pas...

J'écarquille les yeux. J'ai envie de pleurer comme un bébé tellement cette bonne nouvelle est la bienvenue. J'en ai marre d'être diminué, marre de devoir dépendre du Dragon pour me laver, marre de faire mes besoins dans une poche que tout le monde peut reluquer, marre de ce foutu lit d'hôpital...

J'ai besoin d'être seul pendant quelques temps. J'ai besoin de me ressourcer loin de tout et de tous. L'Islande me parait de plus en plus être une bonne idée. Je pense que le doc va pas être d'accord au vu de la température glaciaire à cette époque de l'année, mais bon, je suis prêt à lui jurer de rester enfermé pendant les trois prochains mois s'il accepte... En fait je serai prêt à tout lui promettre, même mes millions pour pouvoir sortir d'ici...

Corruption quand tu nous tiens...

- Joe m'a dit que Leila avait repris le boulot aujourd'hui.

Richard ne me regarde pas. Je sais qu'il lui fait la gueule. Cependant, elle reste l'une de ses meilleures amies et je sais que ma décision et le cataclysme que ç'a engendré dans notre petit groupe l'affecte plus qu'il ne le voudrait.

J'attrape mon ardoise.

" Et donc ?"

Il lit et me répond :

- Elle est dans un sale état. Vincent s'inquiète vraiment à son sujet.

" Je ne reviendrai pas dessus. Je ne veux pas la voir."

- Adrien ! Elle a compris tu sais ? La punition a assez duré crois-moi.

Je secoue la tête. Je suis en mode vengeance. Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai besoin de lui payer. J'ai besoin qu'elle ait mal autant que moi.

Richard soupire.

- J'aurais essayé ! lâche-t-il. Au fait, Joe et moi, on a décalé la soirée de notre fin de célibat. On ne voulait pas que tu manques ça. Avec un peu de chance, tu seras complètement rétabli et on pourra fêter en même temps ta guérison.

Je dévisage mon frère. J'efface mes conversations précédentes et je choisis mes mots avec précaution :

" Je ne pense pas pouvoir être là."

- Arrête tes conneries Adrien ! s'emporte-t-il. Même si elle est là, on ne te force pas à lui parler !

"Je sais. Mais c'est trop tôt. Je ne peux pas."

- Tu cherches à lui prouver quoi bordel ?! Je ne comprends pas. Tu lui fais du mal, tu te fais mal, tu nous emmerdes tous au passage... Tu vas aller jusqu'où comme ça ? Hein dis-moi ?

" En Islande."

Cette fois, Richard blanchit. Il se concentre sur mon regard.

- Merde.

"Je suis désolé."

- Alors on en est là ? me demande-t-il la voix radoucie.

J'acquiesce.

- Elle t'a vraiment fait mal hein ? Bordel ! Tu penses partir quand ?

Si je pouvais sourire, je le ferais. Richard aussi a compris. L'Islande, c'est mon refuge. ma bulle d'air. J'ai acheté ma maison là-bas après mon mariage raté avec Johanna. Je n'y vais qu'en cas de crise grave. Et là c'est un cas de force majeure.

Je n'ai jamais autant désiré une femme, autant que Leila.

Je n'ai jamais autant désiré conquérir une femme comme Leila.

Jamais autant désiré la faire mienne.

Jamais autant désiré faire partie de sa vie et ce jusqu'à la mort.

En fait, j'ai, l'espace d'un vague instant, tout désiré faire avec elle : l'amour, la vie, les enfants et même la mort aussi à la fin quand nous sommes tombés tous les deux sur le pont de ce bateau maudit. Je jure que mon cerveau voulait se laisser partir quand je l'ai vue tomber. C'est quand j'ai entendu sa voix dans le lointain que je me suis forcé à revenir...

Oui, j'ai tout désiré. Et c'est là le problème. À trop désirer, à trop vouloir, la lampe d'Aladdin vous pète à la gueule. Et au lieu d'un génie bleu et taquin, vous avez droit à un esprit farceur dans la peau d'un Dragon...

Merci l'Univers.  

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant