Tourner en rond

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Adrien. Même Nuit. Deux heures plus tard.

Leila est partie. Je lui ai laissé du temps, espérant très naïvement qu'elle reviendrait pour qu'on puisse établir un plan. Parce qu'elle a besoin de moi. Parce qu'elle est en danger et qu'il ne serait pas raisonnable qu'elle fasse ça toute seule.

Mais au bout de deux longues heures à ruminer et à tourner en rond, je dois me rendre à l'évidence. Elle ne reviendra pas me voir. Même si elle est bloquée ici, elle préférera se trancher les deux pieds plutôt que de revenir vers moi.

Leila m'a quittée et pas qu'au sens physique. Au sens émotionnel surtout. Je viens de la perdre.

Putain.

Putain.

PUTAINNNNNNN !!!!!

Je pose mes coudes sur mon bureau brusquement et enfouis ma tête entre mes mains. Si je suis soulagé de lui avoir tout dit sur ma mission et la réalité de qui je suis et de ce que je fais, pour autant elle ne m'a pas laissé lui dire tout ce que je voulais lui dire. Tout ce que j'aurais dû lui dire, il y a déjà bien longtemps.

Parce qu'il y a déjà bien longtemps que Leila est bien plus qu'un simple travail pour moi. Parce qu'il y a bien longtemps que je l'aime.

Voilà c'est dit.

Oui, je l'aime et comme le dernier des connards je l'ai maintenu dans l'ignorance de la vérité. Forcément maintenant, elle ne pouvait voir et retenir que mes mensonges, même s'ils étaient simplement par omission et surtout par obligation. C'est bien la première fois que je déteste autant mon job. Que je me déteste tout court.

La porte de mon bureau s'ouvre brutalement. Je redresse la tête prête à engueuler celui qui ose entrer sans frapper et qui ose me déranger dans mon auto critique. Heureusement je stoppe à temps. Ma meilleure amie depuis l'adolescence, Marjorie Constance, fille cadette de mon patron et accessoirement plus dangereuse qu'un bourreau du Moyen-Âge armé d'une hache, entre d'un pas martial et raide. Elle pose ses deux mains à plat sur mon bureau en se penchant vers moi. Ses yeux lancent des éclairs, sa mâchoire est crispée.

Bon, Leila lui a parlé donc.

- Je sais ce que tu vas me dire Marjo... je commence d'une voix lasse.

- Non, me coupe-t-elle, je ne crois pas. Tu n'imagines même pas à quel point tu me déçois Adrien. Jamais je n'aurais cru que tu ferais la pute pour mon père.

Sa voix rauque me percute de plein fouet. Son ton calme et maîtrisé me passe partout sur le corps comme des ongles qui crissent sur un tableau noir. Plus désagréable que ça, c'est impossible. Je me redresse lentement. Nous nous faisons face et l'air crépite. Nous avons pour habitude de ne pas mâcher nos mots, ni l'un ni l'autre. Mais là, elle y va fort, bordel !

- Tu ne sais pas de quoi tu parles Marjorie. J'avais des ordres. Et puis, je rappelle que c'est Leila en premier qui est venu me chercher. Il ne faudrait quand même pas l'oublier.

Ma voix gronde, signe imminent que tout va partir en cacahuète...

- Justement ! dit-elle en me pointant vers moi, un doigt manucuré et peint en rouge sang. C'est encore pire que tout, tu ne comprends pas ? ! Tu as profité d'elle et de son désir pour toi ! Tu aurais pu refuser. Tu aurais DÛ refuser même ! Mais là regarde-toi ! Tu es pathétique et tu te retranches derrière les ordres du Général sans même assumer ta « connard attitude » !

Je recule hébété. Ma gorge s'assèche brusquement.

Oh merde.

Elle a raison en plus. J'ai clairement profité de la situation, sans me préoccuper des conséquences.

- Merde Adrien ! Mais à quoi tu pensais en faisant ça ? On parle de Leila, là ! Pas de la première pétasse du coin ! Et Joe et Richard ? Tu y as pensé quand tu étais en train de la baiser sur ordre ! Tu as pensé à ce qu'ils pourraient te dire ou te faire quand ils apprendront toute cette saloperie d'histoire ?

Je recule encore. Plus et je traverse le mur pour aller m'éclater sur le sol deux étages plus bas. Remarquez, je devrais peut-être le faire. Je me sentirais moins minable.

J'ai vraiment besoin de déglutir mais je n'y arrive pas. Marjorie est tellement en rogne qu'elle en a les narines qui palpitent. Si j'étais un de ses soumis, je serais déjà en train de prendre extrêmement cher. Car comme toutes les dominantes de son niveau, Marjorie ne sait viser que là où ça fait le plus mal : dans les couilles. Et mes couilles viennent de se ratatiner. Je suis sûr que si j'y regarde de plus près, je n'ai plus que deux pruneaux desséchés à la place.

J'essaie de retrouver mon souffle et surtout toutes les raisons qui me semblaient justes au départ... Mais curieusement, rien ne vient.

Non rien.

En plus Marjorie est lancée maintenant et plus rien ne l'arrêtera. Elle va aller jusqu'au bout de ce qu'elle a à me dire. Elle va me frapper encore alors que je suis à terre.

- Quand je pense que tu as osé la faire culpabiliser après les Seychelles ! Quand je pense qu'on t'a tous soutenu ! Contre elle... Tu fais un sacré hypocrite, tu sais. Ah ça, tu as été à bonne école avec mon paternel. Je ne devrais pas tellement être plus étonnée que ça !

Je passe une main nerveuse dans mes cheveux. Les muscles de ma cuisse tressautent de façon incontrôlée. Je suis à bout, je crois. Je tape du poing sur la table faisant tomber le pot à crayons au sol.

- PUTAIN ! MAIS TU NE COMPRENDS PAS TOI NON PLUS ! je hurle. JE L'AIME ! TU ENTENDS ! JE L'AIME !

Marjorie hausse un sourcil et esquisse un sourire.

- Quoi ? je grogne.

- Il était temps Ducon.

Je mets les mains dans mes poches et me détourne en haussant les épaules.

- Tu comptes faire quoi pour réparer tes conneries ? elle me demande.

Je n'ai pas le temps de lui répondre qu'un toussotement se fait entendre. Olivier et Brice se tiennent dans l'encadrement de la porte.

Super ! Et si on faisait une réunion tant qu'on y était !

Brice a l'air trop content pour que ce soit honnête et Olivier a l'air d'avoir envie de me foutre son poing sur la gueule.

- La rousse incendiaire qui s'est tirée avec ma moto, c'est ta femme ? me demande-t-il passablement énervé.

- Heu... Quoi ?

Brice éclate de rire.

- Tu as bien entendu mon pote. Quand Olivier a vu que sa bécane s'était volatilisée, il a regardé les vidéos de surveillance. J'avoue qu'en tenue de cuir rouge, elle m'a filé une gaule d'enfer...

Le pauvre crayon que je venais de ramasser, finis en miette entre mes doigts.

- C'est une plaisanterie ? !

- Négatif.

Marjorie croise les bras et affiche un air que je ne connais que trop bien.

- Tu as quelque chose à me dire ?

Elle lâche un petit rire.

- Vous n'inquiétez pas les gars. Leila ne sait peut-être pas viser, par contre elle sait conduire tout ce qui a un moteur. La moto ne risque rien.

Je la fixe au bord de l'AVC.

Leilaa remis ça. Elle s'est fait la malle. Et là je flippe. Vraiment. Parce quemoins de huit heures plus tôt, on lui a tiré dessus... Si elle meurt, ce sera mafaute et je ne m'en remettrais pas. 

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant