Quatre Vérités

2.2K 244 5
                                    

  4 Mars 2015. Adrien.

J'ai passé les deux derniers jours de mon hospitalisation à ruminer et à tourner en rond. Je n'ai pas dit à Richard et Joe que j'avais tout entendu ; et, eux se sont bien abstenus de me parler de quoi que ce soit... Les regards étaient fuyants et les soupirs au cours de la conversation, nombreux. Du coup je suis de très mauvais poil.

En plus, Stacy a débarqué ce matin pour notre réunion quotidienne. Celle-ci sera d'autant plus longue que je pars immédiatement après en Islande. Rien que de la voir avec son décolleté trop prononcé et son cul engoncé dans une jupe trop serré, ça m'agace au plus haut point...

Elle minaude et frétille en me voyant. Elle n'est ni subtile, ni sexy... Vincent m'a fait mourir de rire quand il m'a expliqué que Leila la surnommait "la Morue". Je comprends pourquoi maintenant. En fait aujourd'hui, je ne suis pas d'humeur à supporter son rentre-dedans. Stacy est peut-être une excellente assistante, mais elle rêve un peu trop de mon corps sur le sien...

- ... Dois-je confirmer ta présence à l'audience préparatoire du procès Jamesson ? me demande-t-elle avec un sourire en coin qu'elle veut aguicheur.

J'hausse un sourcil suspicieux. Pourquoi cette question ? Bien sûr que j'y serais ! Hors de question de laisser Leila toute seule face à ça...

- Oui. Tu n'auras qu'à m'envoyer le détail par mail.

- ... Ah bon... Je croyais que tu... Enfin, je...

Je la regarde de plus en plus agacé.

- Tu n'es que mon assistante Stacy. Tu n'as pas à penser à ma place.

Elle baisse la tête sur sa tablette et rougit violemment.

- Autre chose ?

- Heu... Poliakoff a renvoyé le contrat signé. Il attend une confirmation de notre part pour le début de l'extraction et une date plausible de livraison...

- Tu m'enverras les détails par mail également. Je réglerai tout ça une fois arrivé à Reykjavík.

Ma voix s'est faite plus sèche que je ne l'aie voulu. Mais bon.

- D'accord, me répond-t-elle d'une petite voix fluette.

Je marche jusqu'à la fenêtre de ma chambre. Je visualise en contrebas, une nuée de journalistes qui attendent ma sortie avec impatience. Ça aussi ça va me plaire.

J'ai vraiment besoin de m'éloigner de Paris. Mais une partie de moi n'est pas du tout d'accord avec cette fuite. Une partie de moi se révolte. Je suis tiraillé sans cesse entre ma colère et mon désir. Et ces deux sentiments ont un seul et même objet (si je puis dire) : Leila Michel, mon associée, mon calvaire au quotidien, mais aussi ma lumière.

Je me surprends parfois à guetter le doux bruit de l'atterrissage de l'agrafeuse...

Depuis quand je suis devenu ce mec ? Depuis quand, moi Adrien Erria, j'en suis rendu à ça ? À me prendre la tête comme une gonzesse ? À me demander où elle est, ce qu'elle fait et avec qui ? Depuis quand, hein ?

D'autant que c'est moi qui refuse de la voir. Voilà que je suis devenu maso en plus ! Je nous punis tous les deux parce que je ne suis pas foutu de savoir comment la garder. Parce que je ne suis pas foutu d'arriver à gagner sa confiance et son amour aussi.

Si un jour on m'avait dit que je prendrais la fuite devant une femme, j'aurais bien ri.

J'enfonce les mains dans les poches de mon costume Armani, pensif. J'entends Stacy derrière moi qui gigote. Cette femme est un vibromasseur à elle toute seule. À force de frétiller, gigoter et vibrer chaque fois qu'elle me voit, je me demande comment elle fait pour ne pas être branchée en mode orgasme en continu....

- Stacy ? je lui demande toujours de dos.

- Oui, Adrien ?

- Tu as vu le P-DG Michel récemment ?

Mon assistante ne me répond pas immédiatement. Je me retourne. Elle se mord les lèvres et n'ose pas me regarder. Je fronce les sourcils et j'attends une réponse.

- Eh bien...

- Oui ?

Stacy relève la tête brusquement et me lâche :

- Ça fait deux jours que nous n'avons aucune nouvelle d'elle.

- QUOI ? j'explose en m'avançant vers elle. Qu'est-ce que vous voulez dire par aucune nouvelle ?

Ma porte s'ouvre à ce moment-là sur Joe, Richard, Vincent, Hervé et Marjorie.

- Ça veut dire exactement ce que ça veut dire Ad, me lâche Marjo froidement.

- Où est Mayorca ? Je veux lui parler de suite ! Je croyais qu'il devait la suivre et la coller comme un pot de colle extra forte ?! Merde ! Et si...

Marjo se plante devant moi, croise les bras et me détaille de ses yeux froid.

- Tu nous fais quoi là ?

Sa question me déstabilise. Je recule légèrement. Les autres n'en mènent pas large non plus. Hervé et Vincent regardent leurs chaussures et Joe est au bord de s'écrouler. Quand à mon frère, je n'ai rien à attendre de lui non plus... Marjorie est en mode commando et je vais manger sec, je le sens. Elle reprend :

- Sérieux ?! Adrien, ma cocotte, je t'adore, mais permets-moi de te dire que tu es le plus grand connard de tous les temps.

J'en reste sans voix.

- Ça fait un mois que tu l'ignores délibérément. Tu t'attendais à quoi exactement ?

- Je... C'est à dire que...

- Oh, comme il est mignonne... (Ton cynique au possible) Tu pensais sincèrement qu'elle allait ramper, supplier et rester à la porte de ta chambre jusqu'à ce que mort s'en suive ? Vraiment ? Je cherche à comprendre là... On parle bien de Leila Sarah Rose Michel ? La tempête, la tornade ? Au QI et à l'ego plus grands que tous les nôtres réunis ? Non parce que si on parle bien de la même, j'ai cru pendant un très court instant que tu t'inquiétais pour elle... Mais je dois sûrement me tromper...

OK. Touché. Coulé.

Joe s'avance en essayant de masquer un pauvre sourire.

- Marjo...

- Quoi ? Est-ce que quelqu'un va enfin se décider à leur dire qu'ils sont autant abrutis l'un que l'autre ? Jamais vu deux idiots pareils ! Non, même dans tes romans Joe, t'as pas réussi à faire mieux !

Marjo tape du pied au sol.

- Mais merde à la fin ! Personne ne se rend compte ou quoi ? Suis-je vraiment la seule à voir qu'ils ont inversé les rôles ? Jusque-là c'était Lei la victime et Adrien le grand méchant loup. Depuis les Seychelles, tout le monde fait la gueule à Leila et Adrien est sur un piédestal, alors qu'en fait y'en a pas un pour rattraper l'autre !

- D'accord, tu as raison, reprend courageusement Savage, mais...

- Mais quoi ? Quoi ? Ils nous font chier ! Si vous ne voulez pas le lui dire, alors moi je vais le faire. Et croyez-moi quand je mettrais la main sur Leila après lui ça va saigner aussi !

Puis Marjorie se retourne et s'avance vers moi auréolée de sa colère menaçante. Vu que c'est un ancien mannequin, je n'arrive pas à la dominer de la même façon que les autres. Ma taille ne me sert à rien...

- Elle est repartie dans la rue. Ça lui arrive parfois quand elle a besoin de faire le point. Elle reviendra quand elle aura fait le tri dans sa tête.

Je déglutis.

- Mais pourquoi, ferait-elle ça ? Je ne comprends pas.

- Ah ouais ? Curieux, tu fais bien la même chose pourtant, non ? Tu fuis aussi...

-...

- En fait, vous n'êtes que deux lâches !

Marjorie nous plante là.

Je viens de prendre mes quatre vérités dans la gueule.

Ça fait mal.  

Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant