Impasse

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Leila.

Je raccroche brutalement et jette mon Black Berry sur le canapé. Adrien me dévisage comme si j'avais trois têtes.

- Qu'est-ce qu'il y a ? Vous m'avez jamais vu en rogne ? je lui balance hargneuse.

Il fronce les sourcils ne comprenant pas pourquoi je l'agresse soudain. Il se rembrunit et met les mains dans ses poches.

- Tu veux bien arrêter ton cirque deux minutes ?

Je déglutis et le toise. J'ai envie de lui cracher à la figure toute ma colère, ma peur, et ma frustration.

Je vis une journée véritablement cataclysmique sur le plan émotionnel. C'est un tremblement de terre de 12 sur 12 sur l'échelle de Richter. La faille de San Andreas s'est ouverte sous mes pieds. Je résume :

1- Je suis poursuivie par des connards de trafiquants qui veulent ma peau aussi sûrement que le braconnier veut la fourrure du fauve.

2- J'ai été exilée, par ma meilleure amie, sur une île paradisiaque qui n'est en fait qu'une cage dorée où l'ensemble de mes illusions se sont fracassées comme un bateau qui se serait échoué.

3- Adrien ne m'aime pas. Il a avoué. Je l'ai entendu. Il ne m'a jamais aimée à vrai dire. Et pauvre andouille que je suis, il a fallu que j'y croie un court instant.

4- Je ne sais plus qui je suis du coup ni ce que je veux.

Enfin, ce n'est pas tout à fait juste ça. Ce que je voudrais immédiatement là c'est :

1- Pleurer loin de tout et de tous.

2- Hurler ma déception rageuse au ciel sans que personne ne vienne m'en empêcher.

3- Cogner sur un punching-ball jusqu'à avoir les poings en sang pour m'absoudre de cette culpabilité qui me déchire. Quelqu'un est mort à cause de moi. De mon entêtement.

4- Dire à Adrien que c'est l'abruti par excellence dans toutes les langues que je connais.

5- Me cuiter, enfin, au rhum des îles jusqu'à oublier qui je suis et pourquoi je fais ce que je fais.

Pourquoi est-ce que j'ai voulu y croire moi aussi ? On se le demande bien... À croire que je n'ai rien appris de ma vie... N'oublie pas de te méfier, bordel, Leila ! N'oublie pas de te méfier !!!!

- Lei...

La voix d'Adrien est trop douce et trop coulante. Je ne supporte pas ça. Pourquoi n'est-il pas en colère contre moi ? Pourquoi ne me hurle-t-il pas dessus ? Pourquoi ne me dit-il pas que je suis une idiote ? Que mon attitude bornée et revêche a causé la mort d'un pauvre homme qui n'avait rien demandé à personne ? Pourquoi ne me dit-il pas que notre famille est en danger à cause de moi ? Pourquoi ne me crie-t-il pas toutes ses choses que j'aie besoin d'entendre soudain ?

Je sais pourquoi. Tout simplement parce qu'il ne m'aime pas. Cette constatation me frappe en plein cœur. Et si ça me touche à ce point c'est parce que moi je l'ai...

Non ! Non ! Jamais de la vie !

Leila Michel ne tombe pas amoureuse. Tout au plus, elle dispose des hommes.

Leila Michel ne fait confiance à personne, surtout pas à la gente masculine.

Adrien se redresse et s'avance vers moi. Je recule frappée par l'évidente absurdité de notre situation.

- À quoi tu penses ? me demande-t-il.

C'est la question de trop. J'explose. Littéralement.

- J'étais en train de me dire que t'étais un foutu lâche doublé d'un menteur pathologique.

Un éclair de colère traverse ses yeux. Son corps se tend.

- Je peux savoir pourquoi tu te crois obligée d'insulter mon intégrité d'un seul coup ?

- Explique-moi, à quoi ça te sert de coucher avec moi, si tu ne m'aimes pas ? À quoi ça te sert de me courir après, si c'est pour qu'il n'y ait rien ensuite ?

Adrien semble foudroyé par mes mots. Le commandant Mayorca choisit de redescendre à ce moment-là. Quelqu'un frappe à la porte. Yann nous jette un regard circonspect et va ouvrir la porte à son équipe. Trois hommes et une femme. Il distribue ses ordres sur un ton sec. La femme et un homme ressortent pour inspecter l'extérieur de la villa. Un autre monte pour s'occuper des preuves à l'étage et nettoyer. Le dernier enfin, déballe du matériel de surveillance sur la table de la salle à manger. Yann passe quelques coups de fil en nous ignorant.

Adrien s'approche, m'attrape par le bras et me traîne à l'écart.

- Leila, écoute...

- Ne le dis pas surtout Adrien, je le préviens en me dégageant. Si tu oses me dire ce que je crois que tu vas me dire, alors tais-toi, ça n'en vaut pas la peine.

Il se redresse, désarçonné par la véhémence de mes paroles.

- Et que crois-tu que j'aie envie de te dire ?

- Que ce que tu as dit à Yann, c'était du flan. Que tu lui as menti. Parce que tu n'avais pas envie de lui dire la vérité sur tes sentiments à mon égard. Que ça ne le concernait pas.

- C'est la stricte vérité pourtant.

Sa voix grave se fait si basse que j'aie du mal à l'entendre. À moins que ce ne soit mon cerveau qui refuse cette éventualité-là, ce qui fait que du coup je n'écoute pas. Pour ne pas y croire...

Je craque. Au début, ce n'est qu'un léger gloussement que j'essaie vraiment de réprimer, parce que je sais qui si je lâche prise à ça, ce sera terrible. Mais force est de constater que j'échoue misérablement. J'éclate de rire. Un vrai fou rire nerveux et incontrôlable. Je me recule jusqu'à ce que mon dos touche le mur derrière moi. J'ai besoin d'un soutien physique pour me tenir, car les spasmes qui me secouent, me dévastent le corps et l'âme. Des larmes brûlantes sillonnent mes joues et tombent sur mes vêtements en une averse de mousson : chaotique, ravageuse, et pourtant tellement nécessaire. Parce qu'il a osé, le con !

Quand enfin ma crise d'hystérie se calme et que j'ouvre les yeux, Adrien a l'air plus vexé que dérouté. Tant pis. Pour lui.

- Mes sentiments pour toi te font rire ?

- Arrête Adrien. Au nom de quoi je devrais y croire dis-moi ? Tu as passé ton temps à me mentir et à me manipuler par le passé. En quoi se serait différent cette fois ? Pourquoi je devrais te faire confiance ? Te rends-tu compte au moins de l'absurdité de tout ça ?

Je fais un grand geste du bras pour englober la villa en même temps que notre situation.

- Toi et moi, ici ou à Paris c'est une illusion ! Tu crois avoir des sentiments, mais la vérité c'est que tu aimes croire que tu en as. Pour te déculpabiliser de ce que tu as fait l'an dernier...

- Tu as un sacré culot de me dire ça ! tonne-t-il soudain en sortant de ses gonds. Et toi alors ? Tu restes enfermée dans ta méfiance juste pour éviter de ressentir ces foutus sentiments que tu me reproches de ne pas avoir ! C'est qui le plus hypocrite des deux dis-moi ? Hein Leila ? Celui qui essaie et qui s'y prend mal ? Ou celui qui ne fait rien et qui reproche à l'autre d'essayer en plus ? C'est qui qui se ment là ?

Je voudrais reculer mais je ne peux pas. Je voudrais fuir ses yeux qui fouillent mon âme et mes fêlures. Mais si je le fais, alors je lui donnerais raison. Et ça je ne veux pas.

Je suis dans une impasse physique et sentimentale. Nous nous toisons dans une colère réciproque et malsaine.

- Leila ? Je dois vous parler.

C'est Yann. Je réponds tout en gardant mes yeux dans ceux d'Adrien :

- OK. Emmenez-moi déjeuner. J'ai besoin d'air.



Back Fire - Edité et en vente-Où les histoires vivent. Découvrez maintenant