C'est ainsi que par un beau matin de printemps, accompagnée de deux amis qui trahissaient ma confiance pour mon bien, je me rendis à un entretien d'embauche où je ne voulais pas aller, pour y rencontrer une recruteuse qui ne voulait pas de moi.
Dans le flot des bienveillants mensonges qui m'avaient été servis, une information portée à ma connaissance était, elle, bien réelle : j'étais là pour le grec. Pour lui seulement, à sa demande insistante - pour un contrat ponctuel, et non pour un job à plein temps.
Moi, j'attendais d'en savoir un peu plus sur ce contrat - en particulier, la nature du fantasme à assouvir, et ses limites. Mais pour être tout à fait honnête, ce qui me dérangeait le plus dans toute cette histoire, c'est que le grec m'avait plu. Vraiment. Et que j'aurais franchement préféré qu'il vienne lui-même me conter fleurette, ou disons... qu'il se livre à des rituels de séduction un peu plus traditionnels que proposer de louer mes services par le biais d'une agence de call-girls.Pour contrebalancer ce désagréable détail, je gardais en tête cette idée clairement exprimée par Ulysse lors de la soirée jetset, selon laquelle je serais la cliente, quelle que soit la configuration retenue pour ce contrat qu'il promettait de me proposer un jour. Les efforts seraient dans son camp, non dans le mien, et le but resterait de satisfaire mon fantasme. À savoir, me laisser emporter dans le fantasme d'un autre. Le sien, donc.
Bon, c'était tordu, oui, mais si je fermais les yeux pour invoquer dans mon esprit le beau sourire rassurant d'Ulysse, je parvenais à trouver un peu de romantisme dans l'originalité de cette démarche. Un peu.
Et ma conclusion était : "faut voir".C'est dans cette état d'esprit que mise sur mon trente et un, je pénétrai le bureau de Madame Mim. Elle nous salua, puis chassa aussitôt Alex et Sarah, comme pour débarrasser notre tête-à-tête de ses parasites.
Elle démarra sur un ton étonnamment agressif qui d'emblée me mit hors de moi, évoquant l'inconscience de la jeunesse, me rangeant dans le sac de la déresponsabilisation environnante et du "tout, tout de suite" auquel aurait, selon elle, aspiré ma génération.
Cette introduction eut le mérite de me faire sortir de mes gonds, balayant ma timidité au passage. Il se trouve qu'à cette époque, j'avais eu à supporter les discours de vrais recruteurs plus que de raison. Se laisser humilier pour faire entrevoir la soumission qui sera la notre dans un poste insipide, je n'avais que trop fait : j'étais une bouteille de Champagne un peu trop agitée, et c'est dans les dents de Madame Mim que vola mon bouchon.À la fois surprise par ma réaction et - je l'apprendrai plus tard - impressionnée par mon sens de la répartie, la sorcière redevint Sophie-Jeanne en un sourire. Elle se fit soudain maternelle à mon égard, ce qui semblait devenir une manie chez mes interlocuteurs féminins, et la suite de la conversation fut des plus agréables.
Lorsqu'elle fut satisfaite sur mes motivations, mon sérieux, ma culture générale, et mon adaptivité, elle rouvrit la porte de son bureau, et fit revenir mes amis. Je vis la métamorphose en sorcière s'opérer sous mes yeux, et c'est Madame Mim qui nous détailla la suite qu'elle entendait donner à cette affaire...Omettant très professionnellement de me révéler qu'elle connaissait déjà assez bien le grec et ses goûts, elle déclara qu'elle allait le recevoir, afin de connaître sa demande exacte.
De mon côté, j'allais devoir potasser les codes de l'agence, en connaître les valeurs, les usages, les limites, apprendre comment réagir dans des situations inattendues, me familiariser avec la signalétique silencieuse qui régit certains dialogues lors de l'exécution d'un contrat, etc., tout cela dans le cas très hypothétique où des suites seraient données à ma candidature. Alex allait me servir de mentor dans cet apprentissage. Sarah ? Non, Alex, insista sèchement Madame Mim.Sarah attendit notre sortie du bâtiment pour exulter. Elle n'en revenait pas que j'ai pu ainsi me mettre Sophie-Jeanne dans la poche, et pour elle, c'était sûr, j'avais le job, je devenais une consoeur, une fantasynaut !
...sauf que moi, dans tout ça, je n'avais pas dit une seule seconde que j'étais partante. Il me fallait plus d'information sur la nature de la mission, sa durée, ses limites... la décision ne revenait pas à Ulysse seul, ou à Madame Mim, mais aussi à moi, j'avais mon mot à dire !- C'est super ! lança Sarah. Bon, tu en sais déjà beaucoup, avec tout ce que je t'ai raconté... je commence quand le briefing, pour faire de toi une super fantasynaut ?
- Arrête avec ce mot, Sarah, ça me fait penser à des astronautes ! bougonna Alex.
- Fantasmette ? Ça sonne mieux, dis-je, ça me fait penser à Fantômette, j'aime bien !
Sarah fit la moue. Alex ne sembla pas relever qu'il était censé être celui qui me formerait - je crois qu'il n'était pas d'humeur à lutter contre l'énergie de notre anglaise.
- Alors ? Raconte, elle t'a demandé quoi ? demanda Sarah.
- Plein de trucs. En vrac, c'était fouillis. Mais je crois que ce dont elle avait le plus peur, c'était que je me défile au dernier moment.
- Bullshit !
- Oui répondis-je. C'est peut-être au premier moment que je choisirai de me défiler : je ne sais vraiment pas si c'est une bonne idée, tout ça...
- C'est une bonne idée, je te dis ! Tu ne vas pas te dégonfler quand-même ?
- Me dégonfler, non ! Non ! Si par miracle je disais oui, alors non, je ne me dégonflerais pas, jamais !
- Il ne faut jamais dire jamais, fit remarquer Alex.
- Jamais, insistai-je. Si je donne ma parole, je m'y tiens, c'est comme ça ! ...Sarah, dis quelque chose !
- Elle s'y tient, fit Sarah à l'adresse d'Alex. C'est à cause de son caractère pourri, tu sais : elle aura la trouille, mais moi, je suis sûre qu'elle ne se dégonflera pas ! De toute façon, elle vient de faire le plus dur !
- Madame Mim ?
- Madame Mim.
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Une croisière en cuir
AvventuraJ'ai ouvert le long zip métallique de la robe. Celui-ci descendait jusqu'au milieu de mes fesses : j'engageai mes pieds joints dans l'ouverture pour glisser mon corps dans le cuir, une fine doublure faisant son maigre office de barrage entre la peau...